Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/272

Cette page n’a pas encore été corrigée


M Lovelace, à M Belford.

tu dois attendre impatiemment ce qui s’est passé entre les deux femmes et ma charmante. Ne t’étonne pas qu’une femme perverse rende un mari curieux. L’événement, néanmoins, a justifié l’ancienne observation, que ceux qui prêtent l’oreille aux discours d’autrui, entendent rarement leur propre éloge . Cette curiosité venant presque toujours du reproche de leur conscience et de la crainte des censures, ils se trouvent rarement trompés. Il y a quelquefois du sens, après tout, dans ces proverbes, dans ces bouts de phrase, que mon cher oncle appelle la sagesse des nations. Madame Moore était chargée de la commission ; mais c’est Miss Rawlings qui a commencé le dialogue. Il faut que je le représente en scène de comédie, tel que je l’ai entendu, c’est-à-dire, sous le nom de celle qui parle ; sans quoi je serais embarrassé à te chercher des liaisons. Miss R. votre mari, madame… (remarque l’adresse de cette créature, uniquement pour tirer une déclaration formelle.) Cl. mon mari, mademoiselle ! Miss R. M Lovelace assure, madame, que vous êtes son épouse, et demande en grace de vous voir ici ou dans la salle à manger, pour vous entretenir des lettres qu’il vous a laissées. Cl. c’est un homme fort méprisable. La grâce, mademoiselle, que j’ai moi-même à vous demander, c’est de m’accorder l’honneur de votre compagnie aussi souvent que vous le pourrez, tandis qu’il sera aux environs d’ici, et que je demeurerai dans cette maison. Miss R. je me ferai un plaisir, madame, d’être souvent avec vous. Mais il me semble que vous pourriez le voir, pour entendre ce qu’il aurait à vous dire touchant les lettres. Cl. ma situation est triste, plus triste que je ne puis l’expliquer. Je me crois perdue sans ressource. Je ne sais à quelle résolution m’arrêter. Je n’ai pas un ami au monde, qui puisse, ou qui veuille me secourir. Cependant, personne n’avait plus d’amis que moi, avant que j’eusse connu cet homme-là. Miss R. il ne me paraît pas, madame, qu’il ait l’air ni le langage d’un méchant homme ; du moins sur le pied où les hommes sont aujourd’hui. ( où les hommes sont aujourd’hui ! pauvre Miss Rawlings ! Ai-je pensé. Eh ! Sais-tu sur quel pied sont aujourd’hui les hommes ?) Cl. ah ! Mademoiselle, vous ne le connaissez pas. Il sait prendre les apparences d’un ange de lumière ; mais il a le cœur des plus noirs. (pauvre diable que je suis !). Miss R. je ne l’aurais pas cru. Mais les hommes de ce temps sont si trompeurs ! ( de ce tems, petite folle ! Tes livres ne t’ont-ils pas appris que les hommes ont toujours été les mêmes ?) Madame Moore, avec un soupir. oui, oui, j’en ai fait l’expérience à mes dépens. (qui sait si la pauvre Moore n’a pas rencontré, dans son tems, quelque Lovelace, quelque Belford, ou quelque vil personnage de la même trempe ? Ma charmante ne sait pas combien d’étranges histoires chaque femme serait en état