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Je vous obéirai, madame, ai-je repris d’un air affligé. Mais devais-je croire que vous fussiez jamais capable de pousser si loin l’indifférence et le mépris ? Cependant permettez que j’insiste du moins sur la lecture de cette lettre : consentez à voir le capitaine Tomlinson, à recevoir de sa bouche ce qu’il doit vous dire de la part de votre oncle ; il ne sera pas long-temps à se rendre ici. Vous ne me tromperez plus, m’a-t-elle dit d’un ton impérieux : commencez par exécuter vos offres. Je ne recevrai aucune lettre de vos mains : si je vois le capitaine Tomlinson, ce sera sans aucun rapport à vous. Envoyez mes habits, comme vous l’offrez : donnez-moi cette preuve de sincérité, si vous voulez que je vous croie sur tout le reste. Laissez-moi sur le champ, et commencez par m’envoyer mes habits. Les femmes se regardaient avec étonnement : leur embarras ne faisait qu’augmenter. J’ai feint de partir dans le mouvement de mon dépit. Mais, après m’être avancé jusqu’à la porte, je suis retourné sur mes pas ; et comme si j’étais revenu à moi-même : un mot, un mot encore, mon très-cher amour !… hélas ! Charmante jusque dans sa colère ! ô fatale tendresse ! Ai-je ajouté, en me tournant à demi, et tirant mon mouchoir. Je crois, Belford, qu’il s’est avancé quelque chose d’humide sur le bord de mes yeux : en honneur, je n’en doute pas. Les femmes ont paru touchées de compassion. Honnêtes créatures ! Elles ont voulu montrer qu’elles avoient aussi chacune leur mouchoir. C’est ainsi (ne l’as-tu pas quelquefois observé ?) que dans une compagnie de douze ou quinze personnes, chacun tire obligeamment sa montre lorsqu’il entend demander quelle heure il est. Un mot, madame ! Ai-je répété aussitôt que j’ai pu retrouver la voix. J’ai représenté au capitaine Tomlinson, dans le jour le plus favorable, la cause de notre mésintelligence présente : vous savez sur quoi votre oncle insiste ; vous savez à quoi vous avez consenti. La lettre que je vous offre va vous apprendre ce que vous avez à craindre de la malignité active de votre frère. Elle allait me répondre avec chaleur, en repoussant la lettre du capitaine, je l’ai prévenue : de grace, madame, écoutez-moi. Vous savez que Tomlinson s’est ouvert de notre mariage à deux personnes ; la nouvelle est déjà parvenue aux oreilles de votre frère ; elle est allée aussi jusqu’à ma famille. J’ai reçu ce matin de la ville des lettres de Miladi Lawrance et de Miss Montaigu. Les voici, madame (je les ai tirées de ma poche pour les lui offrir avec celles du capitaine, mais elle les a repoussées de la main) : faites réflexion, je vous en conjure, aux suites funestes d’un pressentiment si vif. Depuis que je vous connais, m’a-t-elle dit, je suis dans un abyme d’incertitudes et d’erreurs : je bénis le ciel de m’avoir délivrée de vos mains. Le soin de mes affaires ne regarde que moi ; je vous dispense d’y prendre le moindre intérêt. Ne suis-je pas indépendante de vous, et maîtresse de moi-même ? Ne suis-je pas… les femmes ouvraient de grands yeux ; il était temps de l’interrompre. J’ai levé la voix pour étouffer la sienne… vous avez naturellement le cœur si tendre et si délicat, ma très-chère ame ! Jamais il n’y eut une plus belle occasion de l’exercer. Si vous ne voulez