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qu’elle m’en a paru trembler. Son mouchoir qui est tombé de dessus son visage, a laissé voir toute l’indignation qui s’y était répandue. à présent, m’a-t-elle dit, puisque tu as l’audace de donner le nom de bagatelle à l’occasion dont tu parles, et puisque je suis heureusement hors de tes mains infames, hors d’une maison que je ne dois pas croire plus honnête que toi, je hasarderai de lever les yeux : mais plût au ciel que ce fût pour te voir mort, après avoir vu dans ton lâche cœur quelque sentiment de honte et de repentir ! Ce langage de tragédie, joint à la manière violente dont elle l’avait prononcé, a produit l’effet que je m’étais promis. J’ai tourné successivement sur elle et sur les deux femmes un œil de compassion. Ces deux prudentes créatures ont branlé la tête, et m’ont pressé de me retirer. Ensuite elles l’ont priée tendrement de se mettre au lit pour y prendre un peu de repos. Mais cet ouragan, comme tous les autres, s’est dissipé en pluie ; c’est-à-dire que, versant un ruisseau de larmes, elle est retombée sur son fauteuil. Elle a demandé pardon aux deux femmes de son emportement ; mais elle ne me l’a pas demandé à moi. Cependant j’ai commencé à me flatter que le temps des complimens étant venu, il pouvait arriver que j’y eusse bientôt part aussi. En vérité, mesdames, ai-je dit aux deux créatures (tu conviendras, Belford, que ce n’est pas d’assurance que j’ai manqué), je ne reconnais pas mon cher amour à cette violence ; rien ne lui est si peu naturel. Un mal-entendu… on n’a pas manqué de me couper la voix. Un mal-entendu, misérable que tu es ! Crois-tu que j’attende de toi des excuses ? (le mépris éclatait dans chaque trait de son aimable visage.) puis détournant la tête pour éviter mes yeux : indigne fourbe, je n’ai pas la patience de te regarder ; sors, sors d’ici : comment oses-tu soutenir ma présence ? J’ai cru alors que la qualité de mari m’obligeait de paroître un peu fâché. Madame, madame, vous pourrez vous repentir quelque jour de ce traitement ; je ne l’ai pas mérité : rendez-moi justice, vous savez que je ne l’ai pas mérité. Je le sais, misérable ! Je le sais ! Oui, madame, jamais homme de ma naissance et de mon rang (il m’a paru à propos de me faire un peu valoir) ne s’est vu traiter avec cet air de mépris ; (elle a levé les mains vers le ciel : l’indignation lui a coupé la voix) mais tout vient de la même source que le reproche de vous avoir privée de toutes sortes de secours et de protection, de vous avoir jetée dans l’humiliation et dans la misère, et d’autres discours aussi étranges. Ce que j’ai à répondre devant ces deux dames, c’est qu’après ce que je viens d’entendre, et puisqu’une aversion si forte a pris la place de votre ancienne estime, je vous laisserai bientôt aussi libre que vous le désirez. Je vais partir ; je vous abandonnerai à ce que vous nommez votre sort, et puisse-t-il être heureux ! Seulement, pour n’être regardé de personne comme un usurpateur, comme un voleur, assurément je demande où je dois envoyer vos habits et tout ce qui vous appartient ; vous ne tarderez point à les recevoir. Envoyez-les ici, m’a-t-on répondu ; et garantissez-moi que vous cesserez de me tourmenter, que vous n’approcherez jamais de moi : c’est tout ce que je désire de vous.