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je ne puis le voir ; je ne puis jeter les yeux sur lui : sortez, sortez. Ne me touchez pas, a-t-elle repris vivement, lorsque j’ai voulu prendre sa main, en la suppliant d’être plus tranquille, en l’assurant que je voulais faire ma paix avec elle, et qu’elle serait maîtresse des conditions. Méprisable personnage ! M’a dit cette violente fille, je n’ai pas d’autres conditions à désirer que celle de ne vous voir jamais. Pourquoi faut-il que je sois exposée à vos persécutions ? Ne m’avez-vous pas déja rendue trop misérable ? Sans protection, sans amis, je bénirai le ciel de ma misère, pourvu que je sois délivrée du malheur de vous voir. Miss Rawlings m’a regardé d’un œil ferme. C’est une créature assez hardie que cette Miss Rawlings. Madame Moore a tourné aussi les yeux sur moi. Je m’y étais bien attendu, leur ai-je dit à toutes deux, en baissant la tête vers elles d’un air consterné. Ensuite m’adressant à la charmante : mon cher amour ! Vous paroissez hors de vous-même ; songez que cette violence peut nuire à votre santé : un peu de patience, ma chère vie ! Nous traiterons plus tranquillement cette affaire : vous m’exposez, vous vous exposez vous-même. Ces dames croiront que vous êtes tombée dans une troupe de voleurs, et que j’en suis le chef. Oui, c’est le nom que vous méritez ; oui, oui, frappant du pied, sans cesser d’avoir le visage couvert. Elle se rappelait sans doute l’aventure du mercredi. Ses soupirs paroissaient prêts à l’étouffer. Elle a porté la main à sa tête. Je crains, a-t-elle dit, en réfléchissant sur elle-même ; hélas ! Je crains d’en perdre l’esprit. Mon cher amour ! Ai-je affecté d’interrompre, ne craignez rien, je ne vous découvrirai pas le visage : vous ne me verrez pas, puisque ma vue vous est odieuse ; mais voilà une violence dont je ne vous aurais jamais cru capable. J’ai repris sa main malgré elle, et j’ai voulu la presser de mes lèvres. Elle l’a retirée avec indignation ; elle m’a répété l’ordre de ne pas la toucher, et de l’abandonner à son sort. Quel droit, a-t-elle ajouté, quel titre avez-vous pour me persécuter si cruellement ? Quel droit, quel titre, ma chère !… mais ce n’est pas le moment de répondre à cette question. J’ai reçu une lettre du capitaine Tomlinson. La voici. Daignez la prendre et la lire. Je ne reçois rien de votre main. Ne me parlez pas du capitaine Tomlinson ; ne me parlez de personne : vous n’avez aucun droit de me persécuter avec cette cruauté. Encore une fois, retirez-vous : n’avez-vous pas déja poussé mes malheurs au comble ? Sens-tu, Belford, que j’avais touché exprès une corde si délicate pour lui causer, devant les deux femmes, quelque transport de passion qui pût confirmer ce que je leur avais fait entendre de l’aliénation de son esprit ? J’ai repris, avec la même douceur : quel malheureux changement ! Si tranquille, si contente il y a peu de jours ! N’attendant que le moment de votre réconciliation avec votre famille ! Cet agréable évènement si avancé ! Une occasion légère, une bagatelle renversera-t-elle tout l’édifice de notre bonheur ? Elle s’est levée avec un mouvement si vif d’impatience et de colère,