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Est-il parti ? Cachez-moi, je vous en conjure. Miss Rawlings est revenue aussi-tôt vers moi. Monsieur, m’a-t-elle dit d’un air assez assuré, le cas est fort surprenant ; cette jeune dame ne peut supporter votre vue : vous savez mieux que nous quel sujet de plainte vous avez pu lui donner ; mais il est à craindre qu’une nouvelle rechûte ne soit la dernière : avec un peu de complaisance et de bonté, vous prendriez le parti de vous retirer. Il était important pour moi de mettre une personne si notable dans mes intérêts, sur-tout après avoir traité assez cavalièrement son frère. Cette chère personne, lui ai-je dit, a quelque raison de craindre un peu ma vue : si vous aviez, mademoiselle, un mari qui eût pour vous autant de tendresse que j’en ai pour elle, je suis sûr que vous ne le quitteriez pas pour vous exposer témérairement à toutes sortes d’aventures, comme elle fait chaque fois qu’on refuse d’entrer dans ses caprices. à la vérité, c’est avec une parfaite innocence ; il n’y a rien à reprocher à ses intentions ; mais c’est sa faute, uniquement sa faute. Elle est d’autant plus inexcusable, que je suis à elle par son choix, et que j’ai raison de croire qu’elle me préfère à tous les hommes du monde. Ici, Belford, j’ai raconté une de ces histoires que je tiens en réserve pour donner une couleur plus vive à mes suppositions. Vous parlez en galant homme, et vous en avez l’apparence, m’a répondu Miss Rawlings. Cependant, monsieur, le cas n’est pas moins étrange : il paraît que cette jeune dame ne vous voit qu’avec terreur. Vous n’en serez pas surprise, mademoiselle, (la tirant un peu à part, mais du côté de Madame Moore), si je vous apprends que c’est la troisième fois que je pardonne à cette chère femme une malheureuse jalousie… qui n’est pas toujours sans un peu de frénésie (ai-je ajouté d’un ton plus bas, pour donner à cette circonstance un air de secret)… mais notre histoire serait trop longue ; et là-dessus j’ai fait un mouvement pour retourner vers ma charmante. Ces deux femmes m’ont arrêté, en me priant de passer dans la chambre voisine, et me promettant de faire leurs efforts pour l’engager à se mettre au lit. Je leur ai recommandé de ne pas la faire parler beaucoup, parce qu’elle était accoutumée à certains accès, et que, dans cet état, elle disait tout ce qui lui venait à la bouche, avec un désordre d’esprit qui durait quelquefois toute une semaine. Elles m’ont promis d’apporter tous leurs soins à la rendre tranquille. Je suis sorti de la chambre, après avoir fait descendre tous les domestiques. En prêtant l’oreille, je n’ai pas laissé d’entendre qu’elle s’abandonnait aux exclamations. Elle se nommait malheureuse, perdue, déshonorée ; elle se tordait les mains ; elle demandait du secours, pour échapper à des maux terribles dont elle étoit menacée. Les deux femmes l’exhortaient à la patience, et lui conseillaient de prendre un peu de repos : elles l’ont pressée de se mettre au lit, mais elle s’est obstinée à le refuser. Cependant elle a consenti à s’asseoir dans un fauteuil : elle était si tremblante, qu’elle ne pouvait se tenir debout. Je l’ai crue capable alors de soutenir ma présence : il y aurait eu du danger à lui laisser le temps de mêler dans ses plaintes quelque explication qui eût augmenté mon embarras. Je suis rentré dans le cabinet. Ah ! Le voilà ! S’est-elle écriée, en se couvrant le visage de son mouchoir ;