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fraîche, des sels, des esprits. Chacun a couru de différent côté. Une des servantes est descendue aussi vîte qu’elle était montée ; tandis que sa maîtresse, passant d’une chambre à l’autre, et revenant plusieurs fois dans celle où nous étions, se tordait les mains, invoquait le ciel, parlait à elle-même, aux assistans, sans savoir apparemment ce qu’elle faisait et ce qu’elle voulait dire. La servante qui était descendue, est remontée avec un homme du voisinage et sa sœur, qu’elle avait été chercher. Cette fille voyant le vieux goutteux qu’elle avait introduit métamorphosé tout d’un coup en un jeune drôle , vif, dispos, qui avait la voix claire, et toutes ses dents, soutenait que je ne pouvais être que le diable, et ne pouvait détourner les yeux de mes pieds, s’attendant sans doute à chaque minute de les voir paraître fourchus. Pour moi, j’étais si attentif à soutenir ma charmante, que je m’occupais peu de tout autre soin. Elle a donné enfin quelques signes de vie par ses soupirs et ses sanglots ; mais on ne lui voyait encore que le blanc des yeux. Je me suis mis à genoux près d’elle ; j’ai soutenu sa tête de mon bras ; je lui ai parlé du ton le plus tendre : mon ange, ma charmante ! Ma Clarisse ! Regardez-moi, ma chère vie ! Je ne suis pas fâché contre vous. Je vous pardonnerai, cher objet de mon amour ! Les spectateurs étonnés ne savaient quelle explication donner à ce qu’ils entendaient ; et bien moins lorsque ma charmante, recouvrant la vue, a jeté un regard sur moi, et que, poussant un foible gémissement, elle est retombée dans l’état dont elle ne faisait que sortir. J’ai levé la fenêtre du cabinet pour lui donner de l’air ; ensuite la laissant au soin de Madame Moore et de Miss Rawlings (car c’était cet oracle d’Hamstead que la servante avait amenée), je me suis retiré dans un coin de la chambre, où je me suis fait ôter, par mon laquais, mes gros bas de l’hôtellerie, et j’ai achevé de reprendre ma forme ordinaire. Je suis retourné au cabinet. Là, trouvant M Rawlings, auquel je n’avais pas fait beaucoup d’attention dans le premier trouble : monsieur, lui ai-je dit, vous avez été témoin d’une scène extraordinaire ; mais cette jeune dame est ma femme : je crois être le seul homme dont la présence soit nécessaire ici. Il m’a demandé pardon. Si c’était ma femme, a-t-il ajouté, il convenait qu’il ne devait point entrer dans les affaires d’un mari : cependant la peine qu’elle avait marqué à ma vue… retranchons les si , les cependant , ai-je repris d’un ton plus fier ; dispensez-vous de cette inquiétude pour la peine d’autrui ; vous n’avez aucun droit à vous attribuer dans cette occasion, et vous m’obligerez de vous retirer sur le champ. C’est un bonheur qu’il n’ait pas répliqué ; mon sang étoit prêt à s’échauffer. Je ne pouvais souffrir que le plus beau cou, les plus beaux bras et les plus beaux pieds du monde, fussent en spectacle à tout autre homme que moi. Lorsque je me suis aperçu que la connaissance commençait à lui revenir, je suis sorti encore une fois du cabinet, dans la crainte que, me voyant trop tôt, elle ne retombât dans le même accident. Les premiers mots qu’elle a prononcés, en regardant autour d’elle avec une extrême émotion, m’ont frappé par leur son lugubre : oh ! Cachez-moi ! Cachez-moi !