Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/25

Cette page n’a pas encore été corrigée

gens autour de lui, les appelant sans cesse, et les chargeant de quelque message frivole, comme nous en avons eu une douzaine d’exemple pendant le peu de temps que j’ai passé dans l’assemblée. Ils paroissent observer, tour-à-tour, le fier mouvement de ses yeux, pour être prêts à courir avant qu’ils aient entendu la moitié de ses ordres ; et j’ai cru remarquer qu’ils le servent en tremblant. Cependant cet homme paroît supportable avec ses égaux. Il ne parle pas mal des spectacles et des amusemens publics, sur-tout de ceux des pays étrangers. Mais il a quelque chose de romanesque dans l’air et dans le langage ; et souvent il assure, avec beaucoup de force, des choses qui n’ont aucune vraisemblance. Il ne doute de rien, excepté de ce qu’il devrait croire ; c’est-à-dire qu’il badine librement sur les choses saintes, et qu’il fait profession de haïr les prêtres de toutes sortes de religions. Il a de hautes idées de l’honneur ; c’est un mot qui ne sort presque point de sa bouche : mais il ne paraît pas qu’il respecte beaucoup les mœurs. M Tourville nous a fait, je ne sais à quelle occasion, la grâce de nous apprendre son âge. Il entre justement dans sa trente-deuxième année. Il est aussi d’ancienne maison ; mais, dans sa personne et dans ses manières, il a plus de ce qu’on appelle petit-maître , qu’aucun de ses compagnons. Il est vêtu richement. Il voudrait paroître homme de goût, dans le choix de tout ce qui sert à sa parure ; mais j’y ai trouvé plus de profusion que d’élégance. On remarque sans peine, au soin qu’il prend de son extérieur, et à l’attention qu’il exige pour ce qui le distingue au-dehors, que le dedans occupe peu son attention. M Lovelace dit qu’il danse parfaitement, qu’il est grand musicien, et que le chant est une de ses principales perfections. On l’a prié de chanter. Il a chanté quelques airs italiens et français ; et, pour lui rendre justice, les paroles étoient fort décentes. Toute la compagnie a paru très-satisfaite ; mais ses plus grands admirateurs ont été Madame Sinclair, Miss Partington et lui-même. Pour moi, je lui ai trouvé beaucoup d’affectation. La conversation et les manières de M Tourville sont remplies, dans un excès insupportable, de ces grossières offenses contre le bon sens de notre sexe, auxquelles l’usage moderne a donné le nom de complimens, et qui passent pour une marque d’éducation, quoiqu’elles ne renferment, au fond, qu’un amas d’exagérations ridicules, propres seulement à faire connaître la mauvaise foi des hommes, et l’opinion désavantageuse qu’ils ont des femmes. Il affecte de mêler dans ses discours, des mots français et italiens ; et souvent il répond en français à une question qu’on lui fait en anglais, parce qu’il préfere cette langue, dit-il, au sifflement de sa nation. Mais, alors, il ne manque point de donner la traduction de sa réponse, dans l’odieuse langue de son pays ; de peur, apparemment, qu’on ne le soupçonne de ne pas savoir ce qu’il dit. Il aime les narrations. Il promet toujours une histoire excellente, avant que de la commencer : mais il ne paroît pas qu’il s’embarrasse beaucoup de tenir parole. Il est rare même qu’il aille jusqu’à la fin du récit, lorsqu’on a la patience de l’écouter. Il s’interrompt lui-même par un si grand nombre de parenthèses, et de nouveaux incidens, qu’il perd le fil de son propre discours, et qu’il demeure satisfait au milieu du chemin ; ou, s’il veut le reprendre, il demande du secours à la compagnie, en priant agréablement le diable de l’emporter , s’il se souvient de ce qu’il voulait dire. Mais c’en est assez, et beaucoup trop, sur M Tourville.