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Auriez-vous, ai-je dit à l’hôte, une paire de gros bas à me prêter ? Il n’est question que d’en couper le pied, pour les chausser par dessus les miens. Il m’a fait apporter sur le champ des bas de botte, qui me font d’autant mieux, qu’ils donnent à mes jambes un air goutteux. La bonne femme s’est mise à rire, et m’a souhaité du succès. Son mari a fait de même. Tu sçais que je ne suis pas mauvais comédien. J’ai pris une canne, que j’ai empruntée de l’hôte ; et, pour m’exercer un peu à la marche d’un goutteux, j’ai fait quelques tours dans le jeu de boule. C’est dans ce bizarre équipage que je t’écris. Will me raconte que, pendant ma promenade, l’hôtesse disait à l’oreille de son mari : il n’est pas fait d’hier, j’en réponds ; je gagerais hardiment que toute la faute n’est pas d’un côté. L’hôte a répondu que je lui paroissais si gai et de si bon naturel, qu’il ne comprenait pas qu’on pût être de mauvaise humeur avec moi. Cet homme, Belford, juge fort bien. Il serait à souhaiter que ma charmante pensât comme lui. Je vais essayer à présent si je pourrai convenir, avec Madame Moore, d’un logement et d’autres commodités pour ma femme malade. Quoi ! Qu’est-ce qui t’étonne ici ? Oui, ma femme. Qui sçait quelles précautions la chère fugitive a pu prendre, dans la crainte qu’elle a de moi ? Mais la bonne Moore, a-t-elle d’autres logemens à louer ? Oui, oui. J’ai pris soin de m’en éclaircir, et je trouve qu’elle a précisément toutes les commodités dont j’ai besoin. Je ne suis pas moins sûr que ma femme en sera satisfaite ; parce que, tout marié que je suis, grâces au ciel, j’ose dire que je suis le maître. Si Madame Moore n’avait eu qu’un grenier de reste, je ne l’aurais pas trouvé moins de mon goût, en prenant la qualité d’un pauvre auteur menacé de la prison, pour avoir usé trop librement de sa plume, qui cherche un asile, et qui a fait quelque argent de ses petits meubles, pour être en état de payer son loyer d’avance. Il n’y a point de rôle auquel je ne puisse m’ajuster. Enfin, la veuve Moore a repris le chemin de sa maison. Silence, mon cœur ; car je vous crains plus ici que ma conscience. Examinons s’il n’est pas à propos de prendre d’abord une voix enrouée… mais j’oublie quelque chose de plus important. Marquerai-je de la colère ou de la joie, lorsque je paraîtrai devant ma charmante ?… de la colère, à coup sûr. N’a-t-elle pas violé sa promesse, et dans un temps où je méditais de lui rendre une généreuse justice ? Entre les honnêtes gens, l’infidélité n’est-elle pas un horrible crime ? Ma règle, pour juger des actions et des choses, a toujours été moins leur nature, que le caractère des acteurs ; et sur ce principe, il serait aussi ridicule de voir un libertin fidèle à ses engagemens d’amour, qu’il est noir pour une femme d’y manquer. Ah, cher Belford ! Remarques-tu que cette gravité hors de saison n’est que pour appaiser les palpitations d’un cœur difficile à gouverner ? Mais je sçaurai le réduire. Je le rendrai tranquille, pendant le chemin que j’ai à faire dans ma voiture. Que ce chemin est court, néanmoins ! Est-ce la peine de monter ? Oui, montons. Ne suis-je pas un pauvre goutteux ? D’ailleurs, c’est flatter Madame Moore, que de paraître avec un équipage pour lui demander un logement. Quelle veuve, quelle servante d’Hamstead