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que tu sois informé. Cependant j’appréhende d’être pressé par le tems. Un domestique de cette hôtellerie, m’assure, qu’étant sorti depuis un moment, il a vu Madame Moore, à qui je destine ma première visite, entrer dans la maison d’une vieille fille de son voisinage, nommée Miss Rawlings , si respectée pour sa prudence, qu’aucune femme du bourg n’entreprend rien sans la consulter. J’ai chargé aussitôt mon honnête cocher de veiller à la porte de cet oracle d’Hamstead, pour m’avertir du moment où Madame Moore retournera chez elle. J’espère que leur entretien ne durera pas plus que mon récit, dont je ne veux pas que tu perdes un seul mot. " Will avait donc raconté à ceux qui avoient voulu l’entendre, que sa maîtresse était mariée depuis peu à un gentilhomme des plus accomplis, mais si vif et si dissipé, qu’étant mortellement jalouse, elle l’avait quitté dans un accès de cette furieuse passion. Quoiqu’elle l’aimât chèrement, et qu’étant une des plus belles femmes du monde, comme ils en avoient pu juger par leurs propres yeux, elle en fût adorée, sa jalousie, s’il était permis de le dire, (mais la vérité étoit la vérité) l’avait rendue si capricieuse, que, lorsqu’il refusait d’entrer dans la moindre de ses vues, elle était toujours prête à le quitter. C’était un tour qu’elle lui avait déjà joué deux ou trois fois, mais avec toute l’innocence et toute la vertu du monde. Elle se retirait ordinairement chez une de ses intimes amies, jeune demoiselle remplie d’honneur, quoique trop indulgente pour elle sur ce point, qui était à la vérité son unique défaut. Cette raison avait porté son maître à la mener à Londres ; car leur résidence ordinaire était à la campagne. Mais, pour avoir refusé depuis peu de la satisfaire, à l’occasion d’une femme avec laquelle on l’avait vu au parc de saint-James, elle l’avait traité avec sa rigueur ordinaire, dès la première fois qu’elle étoit venue à la ville ; et le pauvre gentilhomme était à demi fou de cette aventure. Ici, Will avait plaint ma situation, les larmes aux yeux, et dans des termes fort touchans. Ensuite, il avait expliqué par quel hasard il avait découvert les traces de sa maîtresse. En un mot, il les avait fait entrer si vivement dans mes intérêts, qu’ils lui avoient prêté un habit pour se déguiser ; et qu’à sa prière, le maître de l’hôtellerie s’était informé, s’il était certain qu’elle eût pris un logement chez Madame Moore. Il avait sçu par cette voie qu’elle s’était engagée pour une semaine, quoiqu’en même-tems elle eût ajouté qu’elle ne croyait pas faire un si long séjour à Hamstead ; et c’était alors qu’il m’avait dépêché un exprès, avec ses premières explications ". à mon arrivée, ma personne et mes habits répondant fort bien à la description de Will, tous les gens de l’hôtellerie semblaient prêts à m’adorer. Je poussais quelquefois un soupir. Quelquefois je prenais une contenance plus gaie, mais qui laissait voir un chagrin mal déguisé, plutôt qu’une joie réelle. Ils ont dit à Will qu’il était bien fâcheux, qu’une dame si charmante fût d’une humeur si ombrageuse : que ces fuites inconsidérées l’exposaient à de grands dangers ; qu’il se trouvait de tous côtés des libertins (des lovelaces à chaque pas, Belford) sur-tout aux environs de la ville ; que les gens de cette espèce étoient capables de tout entreprendre ; qu’ils pouvaient nuire du moins à sa réputation, et lui faire perdre tôt ou tard l’affection de son mari. Conviens, Belford, que les gens d’Hamstead sont de fort bonnes ames. J’