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à me rappeler le détail de la conversation, contentez-vous de ce que je pourrai recueillir du souvenir qui me reste de la peinture que M lovelace me fit hier de ses quatre amis, et de quelques observations sur le spectacle auquel je viens heureusement de me dérober. Les noms des quatre messieurs sont, Belton, Mowbray, Tourville et Belford. Madame Sinclair, Miss Partington, cette riche héritière dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre, M Lovelace et moi, faisaient le reste de la compagnie. Je vous ai déjà fait le portrait de Miss Partington, du côté favorable, sur le témoignage de Madame Sinclair et de ses nièces. J’ajouterai quelques-unes de mes propres remarques sur la conduite qu’elle a tenue dans l’assemblée. En meilleure compagnie, peut-être aurait-elle paru avec moins de désavantage : mais, malgré ses regards innocens, que M Lovelace affecte de louer beaucoup, il n’est pas l’homme du monde au jugement duquel je me fierais le plus pour ce qui regarde la véritable modestie. à l’occasion de quelques discours, qui n’étoient pas assez libres pour mériter une censure ouverte, mais qui ne laissaient pas de renfermer quelque chose d’indécent pour des personnes bien élevées, j’ai observé que cette jeune demoiselle marquait d’abord une sorte d’embarras ; mais qu’ensuite, par un sourire ou par un coup-d’œil, elle encourageait, plutôt qu’elle ne paroissait condamner, un grand nombre de libertés qui sont absurdes, si elles ne signifient rien, ou qui doivent passer pour des grossièretés offensantes si elles renferment quelque sens. Il est vrai que j’ai connu plusieurs femmes, dont j’ai meilleure opinion que de Madame Sinclair, qui ne faisaient pas difficulté de passer aux hommes, et de se pardonner à elles-mêmes, des libertés de cette nature. Mais je n’ai jamais conçu qu’une si grande facilité puisse s’accorder avec l’honnête pudeur, qui fait le caractère distinctif de notre sexe. Si les paroles ne sont que le corps ou l’habit des pensées, l’ame ne se fait-elle pas connaître par cette enveloppe extérieure ? Pour les quatre amis de M Lovelace, je les crois gens de qualité, par le droit de leurs ancêtres ; mais je ne leur ai pas reconnu d’autre apparence de noblesse. M Belton a reçu son éducation à l’université, parce qu’il était destiné pour la robe. Cette profession ne s’accordant point avec la vivacité de son naturel, la mort d’un oncle, qui le rendit héritier d’un bien considérable, lui fit quitter le collége pour venir à la ville, où il prit aussi-tôt les airs du grand monde. On assure qu’il est homme sensé. Il se met fort bien, mais sans affectation. Il est grand buveur. Il aime à veiller, et s’en fait gloire. Il a la passion du jeu, qui a dérangé ses affaires. Son âge ne passe pas trente ans. Son visage est d’un rouge ardent, un peu taché et boutonné. Les irrégularités de sa vie sensuelle paroissent la menacer d’une courte durée ; car il est attaqué d’une toux sèche, qui ne marque pas des poumons fort sains : cependant, il affecte de rire lui-même, et de faire rire ses amis, de ces menaçans symptômes, qui devraient le rendre plus sérieux. M Mowbray a beaucoup voyagé. Il parle plusieurs langues, comme M Lovelace même, mais avec moins de facilité. Il est de bonne maison : son âge paraît de trente-trois ou trente-quatre ans. Il a la taille haute et bien prise, les yeux vifs et le regard audacieux. Son front et sa joue droite sont défigurés par deux larges cicatrices. Il se met aussi fort proprement. Il a toujours ses