me semble que j’ai quelque regret de lui voir si peu d’habileté. Je commence à craindre qu’il ne me soit trop facile de la retrouver. Que n’a-t-elle su combien la difficulté relève pour moi le prix des choses ? Avec la moindre envie de m’obliger, elle ne se serait point arrêtée si près de Londres. Après ces chants de joie, tu me demanderas si j’ai déjà fait rentrer ma charmante sous le joug. Non, Belford. Mais savoir où elle est, c’est à peu près comme si je l’avais en mon pouvoir. C’est un plaisir délicieux pour moi, de me représenter sa surprise et son effroi, lorsqu’elle me verra sortir de terre devant elle. Quel air coupable elle va prendre, à la vue d’un amant outragé, d’un mari reconnu, qu’elle n’a pu quitter sans la plus noire félonie ! Compte que mon attentat nocturne est plus qu’effacé. Mais tu dois être impatient d’apprendre comment je suis parvenu à la découvrir. Lis la lettre que tu trouveras jointe à celle-ci. Si tu te souviens des instructions que j’ai données de temps en temps à mon valet, dans la crainte du malheur qui m’est arrivé, elle t’apprendra tout ce que je dois attendre de sa diligence et de ses soins, s’il pense à reparoître jamais aux yeux d’un maître irrité. Il n’y a pas une demi-heure que je l’ai reçue. J’allais me mettre au lit, tout vêtu ; mais elle a reveillé si vivement mes esprits, que la nuit ne m’a point empêché d’envoyer sur le champ des ordres à Blunt , pour avoir un carrosse à la pointe du jour : et ne sachant que faire de moi, non-seulement j’ai pris la plume pour t’écrire dans la joie de mon cœur ; mais j’ai médité sur la conduite que j’ai à tenir, lorsque je me présenterai devant ma charmante ; car je prévois toute la peine que j’aurai à combattre sa mauvaise humeur. Monsieur, mon très-honoré maître. Celle-ci est pour vous certifier que je suis à Hamstead, où j’ai trouvé madame logée chez la veuve Moore. J’ai pris de si bonnes mesures, qu’elle ne peut faire un pas dont je ne sois informé. Je n’aurais jamais osé regarder mon maître entre deux yeux, si j’avais manqué la trace, après avoir eu le malheur de perdre madame pendant mon absence, qui n’avait pas duré néanmoins plus d’un quart-d’heure. Comme je suis certain que cette nouvelle vous fera beaucoup de plaisir, j’ai promis cinq schellings au porteur. Il n’a pas voulu partir à moins, parce qu’il est près de minuit ; et quoiqu’il me reste une bonne partie de votre argent entre les mains, je n’ai pas jugé à propos de le payer d’avance, pour être plus sûr de sa fidélité. Ainsi, monsieur aura la bonté de le satisfaire. Madame n’a aucune connaissance de ce qui se passe autour d’elle. Mais j’ai cru devoir faire la garde ici moi-même, parce qu’elle n’a pris son logement que pour quelques nuits. Si monsieur vient demain, il me trouvera, pendant tout le jour, près de la grande boutique du mercier qui n’est pas loin du logement de madame. J’ai emprunté un habit d’une couleur différente du mien, et j’ai pris une perruque noire ; de sorte que madame ne me reconnaîtrait pas, quand le hasard ferait tomber ses yeux sur moi. Mais, pour me déguiser encore mieux, je me plains d’un mal de dents, qui m’oblige de tenir mon mouchoir à la bouche ; et ce n’est pas blesser beaucoup la vérité ; car il me reste encore de la douleur de cette dent que monsieur se souvient de m’avoir cassée d’un coup de poing.
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