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Madame Moore, chez laquelle je suis, est une veuve de fort bonne réputation. Du moins c’est le témoignage qu’on m’en a rendu dans une boutique voisine, où j’ai acheté un mouchoir, pour avoir occasion de m’informer de son caractère. Je ne mettrai pas le pied hors de sa maison, jusqu’à ce que j’aie reçu votre réponse. Dans la vue de me dérober plus sûrement, j’ai feint, en descendant du coche, d’attendre une chaise que j’espérais de rencontrer en chemin, pour me rendre à Hendon, petit village peu éloigné de Hamstead ; et prenant en effet cette route, je me suis promenée quelque tems sur la hauteur, sans savoir d’abord à quoi me déterminer, mais ensuite dans le dessein de m’assurer que je n’étais pas observée, avant que de me hasarder à chercher un logement. Vous aurez la bonté, ma chère, de m’adresser votre lettre sous le nom de Miss Henriette Lucas. Si je ne m’étais pas échappée avec tant de bonheur, j’étais résolue de recommencer plusieurs fois mon entreprise. Le monstre m’avait écrit qu’il devait sortir pour aller à l’officialité ; car, malgré la promesse qu’il m’avait arrachée, je refusais constamment de le voir. Après une faute capitale, qu’il est difficile, ma chère, d’en éviter un grand nombre d’autres, qui viennent comme nécessairement à la suite ! La crainte de manquer de succès dans mon premier effort, m’avait fait prendre le parti de lui déclarer que je ne jetterais pas les yeux sur lui de toute une semaine, pour me procurer le tems de tenter mon dessein par différentes voies. Si j’avais été trop observée, j’aurais pris le parti, après l’exemple que j’avais eu de son intelligence avec les femmes de la maison, de descendre brusquement, de sortir dans la rue, et de me jeter dans la première maison que j’aurais trouvée ouverte, pour y demander la protection des premières personnes qui se seraient présentées. Quel nom donnerez-vous à des femmes qui ont été capables d’abandonner une malheureuse personne de leur sexe dans une telle situation ? D’ailleurs, je leur ai trouvé l’air si coupable, la contenance si embarrassée, lorsque j’ai consenti à les voir, tant d’empressement à me faire monter au second étage, pour me convaincre, par la vue des rideaux et du lambris brûlé, que l’incendie avait été réel, qu’en feignant de croire tout ce qu’elles s’efforçaient de me persuader, je me confirmais dans la résolution de fuir, à toutes sortes de risques. En prenant la plume, je m’étais proposé de vous faire une lettre très-courte. Mais, quelque sujet que je traite, je suis embarrassée à finir, lorsque c’est à vous que j’écris. Ce sujet de reproche n’est pas nouveau. Ainsi, n’attribuez pas uniquement ma longueur à l’embarras d’une malheureuse situation ; quoique mes peines soient capables d’occuper entièrement toutes les facultés de mon ame.



M Lovelace, à M Belford.

vendredi, à deux heures du matin. Victoire ! Triomphe ! Aides-moi, Belford, à chanter victoire et triomphe. Quel heureux homme que ton ami ! Sotte petite novice, de se faire entendre, en donnant ses ordres au cocher, et de choisir Hamstead pour retraite, entre tous les villages voisins de Londres, un lieu où je l’ai menée plusieurs fois ! Il