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mais la voiture publique s’est présentée si à propos vers la barrière d’Holborn, que je n’ai rien eu de mieux à choisir. Je ne m’y arrête néanmoins que pour me donner le temps de recevoir votre réponse. Marquez-moi, je vous prie, si, par le secours de Madame Towsend, je puis espérer de me cacher à toute la terre, pendant la première chaleur des recherches dont je me crois menacée : heureuse, si j’avais eu plutôt recours à son assistance ! Je me figure que Depfort est un lieu assez favorable pour mes autres vues. Il me sera facile d’y être informée des passages, et de me rendre à bord sans aucun danger. Alors j’apporterai tous mes soins à tirer parti de mon sort. Joignez-vous à moi, ma chère, ma seule amie, pour supplier le ciel que mon châtiment soit borné à cette vie, et à mes afflictions présentes. Cette lettre servira d’explication à quelques lignes que vous devez avoir reçues de moi par la voie de Wilson, et que je n’ai fait porter chez lui que par feinte, dans la vue d’éloigner un valet qu’on n’avait aparemment laissé près de moi que pour m’observer. Il est revenu si vîte, que j’ai été forcée d’écrire un autre billet, que je lui ai donné ordre de porter à son maître, dans la même vue ; et ce second expédient m’a réussi. J’avais écrit, dès le matin, une lettre fort amère au misérable ; et l’ayant laissée dans un lieu facile à découvrir, je suppose qu’elle est à présent entre ses mains. Je n’en ai pas gardé la copie ; mais il me sera aisé de m’en rappeler la substance, lorsque je serai assez libre pour vous faire le récit de toute l’aventure. Je suis sûre que vous approuvez ma fuite ; d’autant plus que les femmes de cette maison doivent être des créatures fort méprisables. Elles m’ont entendu crier au secours ; je ne puis douter qu’elles ne m’aient entendue. Si le feu n’avait pas été un artifice concerté, quoique le matin j’aie affecté de le croire réel, pour leur ôter toute défiance, elles n’auraient pas été moins alarmées que moi. Elles seraient venues pour me rassurer, supposé que la cause de mes cris eût été la crainte du feu, ou pour me secourir dans tout autre danger. Cette infame Dorcas prit la fuite, aussitôt qu’elle vit son coupable maître passer les bras autour de moi. Bon dieu ! Ma chère, je n’avais que mes mules et un simple jupon. L’effroi m’avait fait sauter de mon lit, comme si j’eusse été menacée d’être réduite en cendres au même moment. Dorcas me quitter dans cet état ! Ne pas revenir, elle ni les autres ! Cependant j’entendis des voix de femmes dans une chambre voisine ; c’est de quoi je suis très-sûre ; et ce qui me paroît une preuve évidente de quelque complot. Dieu soit loué ! Je suis hors de cette maison ! Mais je ne suis pas hors de crainte. J’ai peine encore à me croire en sûreté. Chaque homme bien mis que j’aperçois de mes fenêtres, à cheval ou à pied, je le prends pour mon cruel persécuteur. Vous vous hâterez, sans doute, de me faire quelques mots de réponse. Je me procurerai, le plutôt qu’il me sera possible, un homme à cheval, pour vous porter ma lettre. Il n’y a pas d’apparence que vous puissiez me répondre par la même voie, puisque vous serez obligée de voir auparavant Madame Towsend. Cependant j’attendrai de vos nouvelles avec une extrême impatience. Songez que je n’ai point d’autre ami que vous ; qu’étrangère comme je suis dans ce canton, je ne sais de quel côté tourner, ni quel lieu je dois choisir, ni à quelle résolution je dois m’arrêter. Connoissez-vous rien de si terrible ?