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enfoncée pour se faire remarquer ; excepté peut-être dans quelques occasions extraordinaires, après lesquelles, il m’avait paru qu’elle rentrait dans sa retraite adipeuse . C’est un homme chargé d’embonpoint. Ne l’as-tu jamais vu ? Au fond, la principale raison qui m’arrête (car le projet me tente beaucoup), c’est la crainte de voir toutes mes espérances renversées, si ma lettre n’arrivait pas assez tôt, ou si Miss Howe prenait du temps pour délibérer, et pour sonder les dispositions de sa mère. Il pourrait arriver qu’elle reçût dans l’intervalle une lettre de son amie. Quelque lieu que cette beauté fugitive ait choisi pour asile, je ne doute pas que son premier soin ne soit de lui écrire. J’en conclus qu’il faut s’armer de patience, et prendre du temps pour me venger de cette furie. Mais, malgré toute ma compassion pour Hickman (dont le caractère excite quelquefois mon envie ; car c’est un de ces mortels qui mettent la stupidité en honneur dans l’esprit des mères, au grand malheur des jolis hommes tels que nous, et souvent au grand mécontentement des jeunes filles), je jure, par tous les dieux du premier et du second ordre, que j’aurai Miss Howe, si je perds l’espérance d’obtenir son amie, qui est incomparablement au-dessus d’elle. Alors, si les flammes de l’amitié sont aussi vives entre ces deux beautés qu’elles le prétendent, quel avantage ma charmante aura-t-elle tiré de son évasion ?



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

jeudi au soir, 8 de juin. Après ma dernière lettre, qui vous a paru si remplie d’espérance, celle-ci vous causera beaucoup d’étonnement. ô ma chère amie ! Lovelace s’est fait connaître enfin pour un malhonnête homme. C’est avec la dernière difficulté que je me suis garantie de ses insultes, la nuit dernière. Il n’a pas laissé de m’arracher une promesse de pardon, et celle de le voir le jour suivant, comme s’il n’était rien arrivé d’offensant pour moi : mais, à moins que de m’être trouvée dans l’impossibilité absolue de fuir un misérable que je soupçonne d’avoir mis exprès le feu à la maison, pour me faire tomber presque nue dans ses bras, comment aurais-je pu consentir à le voir après cette fatale aventure ? Je suis échappée à son infame complot ; grâces au ciel ! Je suis échappée ! Il ne me reste plus d’autre sujet de peine, que d’avoir perdu la seule espérance qui pouvait me rendre un tel mari supportable ; celle de ma réconciliation avec ma famille, dont mon oncle s’est chargé de si bonne grâce. Tous mes désirs se bornent présentement à trouver quelque famille honorable, ou quelque personne de mon sexe, qui soit obligée de passer la mer, ou qui aille s’établir dans un pays étranger : peu m’importe lequel. Je choisirais, si j’en avais la liberté, quelqu’une de nos colonies d’Amérique, pour être à jamais oubliée de mes parens, que j’ai si mortellement offensés. Que votre cœur généreux ne soit pas trop attendri de cette résolution. Si je puis échapper à la plus terrible partie de la malédiction de mon père (car celle qui regarde cette vie est déjà remplie si cruellement, qu’elle me fait trembler pour l’autre), je regarderai la perte de ma fortune temporelle comme une heureuse composition. Il n’est pas besoin non