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sous le nom de conjecture prend à mes yeux l’apparence et la force d’une cruelle réalité. Ah ! Si votre mère avait la bonté de m’accorder la vue de ma consolatrice ! De la seule amie qui soit capable de ranimer un peu mon courage languissant ! Mais gardez-vous, très-chère Miss Howe, de venir sans sa permission. Je suis trop mal à présent pour penser à combattre cet homme terrible, ou à fuir de cette affreuse maison ! Vous reconnaîtrez mon abattement au désordre de mes caractères. L’état où je suis fera ma sûreté, s’il était vrai qu’il eût médité quelque infâme dessein. Pardonnez, très-chère amie, ah ! Pardonnez les embarras que je vous ai causés. Tout approche de sa fin… mais pourquoi peine sur peine, douleur sur douleur ? Encore une fois, je vous recommande, chère Miss Howe, de ne pas penser à venir sans la participation et le consentement de votre mère. Eh bien, Belford. Que penses-tu de cette lettre ? Miss Howe se met au-dessus de l’opinion publique et de la censure. Crois-tu qu’une lettre de ce style n’amènera point cette petite furie, dut-elle se mettre dans un des paniers de Collins, et sa femme-de-chambre dans l’autre ? Elle sait à présent où s’adresser. J’ai puni plus d’une de ces petites frippones, pour avoir porté trop loin leur curiosité : et je réduis toute leur punition à leur donner un peu plus de lumière et d’expérience. Que dirais-tu, Belford, si, réussissant à faire arriver ici cette virago , et lui donnant quelques justes raisons d’écrire une lettre lamentable à son amie, j’étais assez heureux pour rappeler par cette voix ma belle fugitive ? Pourrait-elle se dispenser de venir voir une amie qui ne se serait jetée dans la situation dont elle est perfidement échappée, que pour lui rendre les devoirs d’une tendre amitié ? Laisse-moi jouir de cette idée. Ferai-je partir la lettre ? Tu vois qu’ayant fait contrefaire son écriture par l’adroite Sally, j’ai prévenu les objections qui pourraient lui venir à l’esprit contre l’exactitude de l’imitation. Leur dois-je à toutes deux plus de ménagement ? As-tu remarqué comment cette enragée d’Howe menace sa mère ? Ne mérite-t-elle pas d’être punie ? Et quand ma vengeance s’exercerait sur ces deux filles autant qu’elles ont l’imprudence de m’y exciter, serais-je plus diable, plus infame, plus monstre qu’elles n’osent me nommer dans leurs lettres ? Lorsque j’aurai satisfait une fois mon ressentiment, avec quelle humilité charmante ne se retireront-elles pas toutes deux dans le coin d’une province, pour y vivre ensemble, et pour se réduire au célibat, qui paraît avoir tant de charmes pour l’une et l’autre, par des motifs bien plus raisonnables que celui de leur suffisance et de leur orgueil. Il faut que je transcrive sur le champ cette curieuse lettre. Les délibérations viendront à la suite. Cependant que m’a fait le pauvre Hickman, pour mériter ce traitement de moi ? Mais ce serait punir glorieusement la mère, de sa sordide avarice et de ses mauvaises manières pour l’honnête Monsieur Howe, qu’elle a fait mourir de chagrin. Je suis impatient, Belford, d’entreprendre ce projet. Tous les pays du monde ne sont-ils pas égaux pour moi, si je suis obligé de quitter encore une fois le mien ? Mais je ne veux rien donner au hasard. On m’assure que cet Hickman est bon homme. J’aime les bonnes gens ; je ne désespère pas d’être quelque jour du nombre. D’ailleurs, j’ai appris de lui, depuis peu de jours, quelques particularités qui paroissent prouver qu’Hickman a une ame ; quoique j’eusse cru jusqu’à présent que, s’il en avait une, elle était trop