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de votre vertu, à cette dignité naturelle qui, dans une situation si difficile, sans amis, sans secours, passant pour mariée, environnée de créatures qui se font un jeu de trahir et de ruiner l’innocence, vous a rendu capable de contenir, d’épouvanter, de confondre le plus dangereux des libertins, le moins capable de remords, comme vous l’avez observé vous-même, le plus inconstant dans son caractère, le plus rusé dans ses inventions, secondé d’ailleurs, soutenu, excité, comme on n’en saurait douter, par la force du conseil et de l’exemple ? Votre dignité , dois-je répéter, cet héroïsme , je veux lui donner ce nom, qui s’est montré à propos dans tout son lustre, mêlé de cette condescendance obligeante et de cette charmante douceur qui en tempèrent la majesté, lorsque vous avez l’esprit libre et tranquille. Mais actuellement, ma chère, j’appréhende que le danger n’augmente beaucoup, si, continuant de demeurer dans cette redoutable maison, vous n’êtes pas mariée avant la fin de la semaine. Mes alarmes ne seraient pas si vives pour vous dans tout autre lieu. Je suis persuadée, après les plus sérieuses réflexions, que le misérable est enfin convaincu qu’il ne trouvera jamais votre vigilance en défaut ; que, par conséquent, s’il n’obtient pas de nouvel avantage sur vos sentimens, il est résolu de vous rendre la foible justice qui est au pouvoir d’un homme de son caractère. Il y est d’autant plus porté, qu’il voit toute sa famille engagée fort ardemment dans vos intérêts, et que le sien ne lui laisse pas d’autre choix. Et puis, l’horrible monstre vous aime, à sa manière, plus qu’il n’est capable d’aimer toute autre femme ; vous aime, c’est-à-dire, du même amour qu’Hérode avait pour Mariamne. Je n’ai pas le moindre doute sur ce point ; et j’en conclus qu’à présent du moins, il est probablement de bonne foi. Comme j’ai lieu de juger, par les lumières que vous m’avez données sur votre situation, que, de quelque nature que soient ses desseins, ils ne peuvent éclore qu’après le résultat de ce nouveau complot dans lequel Tomlinson et votre oncle se trouvent mêlés, j’ai pris du tems pour diverses recherches. C’est un complot, je n’en puis douter ; dans quelques vues que cet obscur, cet impénétrable esprit, l’ait formé. Cependant j’ai vérifié que le conseiller Williams, qui est connu de M Hickman pour un homme fort distingué dans sa profession, a presque mis la dernière main au contrat ; qu’on en a tiré deux copies ; dont l’une, suivant le témoignage du secrétaire, doit être envoyée au capitaine Tomlinson : et j’apprends, avec la même certitude, qu’on a sollicité plus d’une fois les permissions ecclésiastiques et qu’on y a trouvé des difficultés, dont Lovelace a paru fort chagrin. Le procureur de ma mère, qui est intime ami du sien, a tiré ces éclaircissemens en confidence. Il ajoute que vraisemblablement la haute naissance de Lovelace fera lever les obstacles. Mais je ne veux pas vous déguiser le sujet de mes alarmes : après vous avoir fait observer que votre honneur n’ayant encore souffert aucune atteinte, elles ne me seraient pas entrées dans l’esprit, si je n’avais appris dans quelle maison vous demeurez, et si cette découverte ne m’avait fait raisonner sur les circonstances passées. L’état favorable de vos espérances présentes vous oblige de souffrir sa compagnie, chaque fois qu’il désire la vôtre. Vous vous trouvez dans la nécessité d’oublier, ou de feindre d’oublier les mécontentemens passés,