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à la fuite. Qu’a-t-il donc fait, depuis cet évènement, qui puisse vous avoir obligée tout d’un coup de changer de principes ? Ainsi votre conduite a toujours été régulière, soutenue, respectueuse pour ceux à qui vous devez du respect par le droit du sang ; elle n’a jamais été ni prude, ni coquette, ni tyrannique pour lui. Il était convenu de se soumettre à vos loix, et de faire dépendre votre faveur de sa réformation. à la vérité, moi, que vous faisiez lire dans votre cœur, quoique vous ne m’apprissiez pas vous-même tout ce que j’y découvrais, j’ai vu clairement que l’amour avait commencé de bonne heure à s’y établir ; et vous l’auriez reconnu plutôt, si vos alarmes continuelles et sa conduite impolie ne vous avoient tenu le bandeau sur les yeux. Je savais, par expérience, que l’amour est un feu avec lequel on ne badine pas impunément. Je savais que la familiarité d’une correspondance n’est jamais sans danger entre deux personnes de différent sexe. Un homme qui prend la plume pour écrire, doit être capable d’art, s’il n’est pas corrompu au fond du cœur. Une femme qui écrit ce qu’elle a dans le cœur à un homme versé dans l’art de tromper, ou même à l’homme du meilleur caractère, lui donne sur elle un extrême avantage. Comme la vanité de votre monstre lui a toujours persuadé qu’une femme ne peut lui résister lorsqu’il se présente avec des vues honorables, il n’est pas surprenant qu’il se soit révolté comme un lion pris dans les toiles, contre une passion que vous n’avez payée d’aucun retour. Et comment auriez-vous pu marquer du retour à un esprit si fier, qui vous avait enlevée malgré vous par un lâche artifice, sans approuver ce même artifice que vous condamniez dans le cœur ? Ces réflexions, peut-être, font trouver moins de peine à concevoir, comment il est possible qu’un misérable tel que lui ait repris ses anciennes préventions contre le mariage, et soit revenu à sa passion favorite, qui a toujours été la vengeance. Il me semble que c’est la seule explication qu’on puisse donner aux horribles vues qui l’ont porté à vous conduire dans le lieu où vous êtes. Tout le reste ne se trouve-t-il pas expliqué aussi naturellement par les mêmes suppositions ? Ses délais ; ses manières chagrines ; l’adresse avec laquelle il a trouvé le moyen de s’établir dans la même maison ; celle de vous faire passer pour sa femme devant vos hôtesses, avec quelque restriction à la vérité, mais dans l’espoir, sans doute, l’infame qu’il est ! De vous prendre quelque jour avec avantage : la partie de souper avec ses compagnons de débauche ; l’entreprise de vous faire partager votre lit avec cette Miss Partington ; projet que je crois sorti de sa tête, et qui couvrait quelques détestables vues ; les alarmes qu’il vous a causées plusieurs fois ; son obstination à vous accompagner à l’église, dans la crainte apparemment que vous ne pussiez découvrir avec quelles gens vous viviez ; enfin l’avantage qu’il a tiré du complot de votre frère. Voyez, ma chère, si toutes ces conséquences ne suivent pas, comme d’elles-mêmes, de la découverte de Miss Lardner. Voyez s’il ne demeure pas évident que ce monstre, auquel mon embarras m’a fait quelquefois donner le nom de fou et d’étourdi, étoit, au fond, le plus infame de tous les humains. Mais si je raisonne juste, demanderait ici une personne indifférente, à quoi devez-vous jusqu’aujourd’hui votre conservation ? Excellente fille ! à quoi, moralement parlant, si ce n’est à votre vigilance, à la majesté