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du témoignage favorable que Tomlinson rendait à vos femmes, sur-tout après des informations supposées ? Lovelace ne peut l’ignorer non plus ; et quand il ne l’aurait pas su avant que de vous y avoir menée, il ne doit pas avoir été long-temps à le découvrir. Qui sait si ce n’est pas la compagnie même qu’il y a trouvée, qui lui a fait prendre le parti de s’y arrêter ? Cette raison explique assez tout ce qu’il y a d’étrange dans ses délais, lorsqu’il dépendait de lui de s’assurer promptement une femme telle que vous. Ma chère, ma chère, cet homme est corrompu jusqu’au fond du cœur. C’est un misérable, sous quelque jour que je me le représente : et ce Doleman est sans doute un autre de ses suppôts. La corruption des mœurs a si bien accoutumé une grande partie de l’autre sexe à regarder comme un badinage la ruine des jeunes personnes du nôtre, qu’il doit paraître moins surprenant que honteux, qu’entre les gens même de quelque apparence, il s’en trouve de toujours prêts à seconder les vues déréglées des libertins d’une certaine distinction, lorsqu’ils en espèrent quelque chose pour leur fortune ou pour leur avancement. Mais puis-je croire, me demanderez-vous avec indignation, que Lovelace ait formé des vues contre votre honneur ? Qu’il en ait formé, c’est de quoi je ne saurais douter, quand elles ne subsisteraient plus, depuis que je sais dans quelle maison il vous a logée. Cette découverte est une clé qui m’ouvre tous les détours de sa conduite. Permettez que je jette un coup d’œil sur le passé. Nous savons toutes deux que l’orgueil, la vengeance, et la passion de marcher par des routes nouvelles, sont les principaux ingrédiens qui composent le caractère de cet archi-libertin. Il hait toute votre famille, à l’exception de vous ; et je crois m’être aperçue plusieurs fois qu’il était humilié de se voir forcé par l’amour à fléchir devant vous, parce que vous êtes une Harlove. Cependant le misérable est un vrai sauvage en amour. Cette passion, qui humanise les ames les plus féroces, n’a pas été capable de subjuguer la sienne. Son orgueil, et la réputation qu’il s’est acquise par un petit nombre de bonnes qualités qui se trouvent mêlées parmi ses vices, l’ont accoutumé à se voir trop bien reçu de notre sexe léger, aveugle, inconsidéré, pour s’être jamais fait une étude de l’assiduité et de la complaisance, ou d’assujettir ses passions déréglées. Son animosité, contre tous les hommes et contre une femme de votre famille, n’est pas tout-à-fait sans fondement. Il a toujours fait voir, et même à ses propres parens, que l’intérêt de son orgueil lui est plus cher que celui de sa fortune. Il fait profession de haïr le mariage. Il aime l’intrigue. Il a l’esprit fertile en inventions, et l’impudence d’en faire gloire. Il n’a jamais pu vous arracher une déclaration d’amour ; et jusqu’à la persécution de vos sages parens, il n’avait pu parvenir à vous faire recevoir ses soins à titre d’amant. Il savait que vous condamniez ouvertement ses mœurs ; et par conséquent il ne pouvait blâmer, avec justice, l’indifférence et la froideur qu’il vous reprochait d’avoir pour lui. La crainte des accidens et le désir de les prévenir ont été vos premiers motifs pour la correspondance dans laquelle il a su vous engager. Il n’a donc jamais dû paraître étonné de la préférence que vous donniez au célibat sur l’engagement du mariage. Il savait que vous aviez toujours pensé de même ; il le savait, avant que ses artifices vous eussent engagée