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femme de bonne maison, relevant d’une attaque de paralysie, et par conséquent revenu, comme on devait le croire, de ses anciens désordres ; fut capable de recommander une telle demeure, à un homme de la naissance de Lovelace, pour y conduire, pour y loger sa femme ? J’écris peut-être avec trop de violence ; mais quel moyen d’être plus modérée ? Cependant je quite la plume à chaque minute, dans le dessein, de laisser reposer un peu ma bile. Et puis ma mère revient sans cesse, et ne se lasse pas de me tourmenter. Elle me demande si je n’ai rien de mieux à faire que de relire vos anciennes lettres ; c’est le prétexte que j’emploie pour me procurer quelques momens de liberté. Je crains de m’emporter contre elle, la première fois que je l’entendrai à ma porte. à présent, je ne sais par où commencer. J’ai tant de choses à vous écrire, si peu de tems, de si fortes raisons d’impatience ! Mais il faut vous apprendre d’où sont venues mes nouvelles lumières. Miss Lardner , que vous avez vue plusieurs fois chez sa cousine Bidulphe, vous a reconnue dans l’église de Saint-James. Elle y était comme vous, il y eut dimanche huit jours. Sa surprise lui fit tenir les yeux sur vous pendant tout l’office. N’ayant pu rencontrer les vôtres, quoiqu’elle vous ait saluée deux ou trois fois, elle se proposait de vous faire compliment sur votre mariage en sortant de l’église ; car elle ne doutait pas que vous ne fussiez mariée, sur cette seule raison qu’elle vous voyait seule à l’église. Tout le monde, dit-elle, n’eut d’attention que pour vous ; tribut ordinaire de tous ceux qui vous voient. Comme vous étiez plus près qu’elle de la porte, vous vous retirâtes avant qu’elle pût vous joindre. Mais elle chargea son laquais de vous suivre jusqu’à votre maison. Il vous vit entrer dans une chaise, qui vous atendait, et vous ordonnâtes aux porteurs de vous mener où ils vous avoient prise. Le jour suivant, Miss Lardner, par un pur mouvement de curiosité, renvoya le même homme, avec ordre de s’informer si M Lovelace était avec vous dans la même maison. L’éclaircissement qu’elle reçut, lui parut fort étrange. Son messager lui rapporta, d’après plusieurs personnes, que la maison étoit suspecte, et passait dans le voisinage, pour une de ces retraites libres où l’on ne se refuse aucun plaisir. Dans l’étonnement d’un récit sans vraisemblance, Miss Lardner recommanda le silence à son laquais ; mais elle chargea de la même commission un honnête homme de ses amis, qui lui confirma bientôt que, malgré quelque air de décence établi dans cette maison, elle n’était habitée que par des femmes galantes, qui avoient leurs amans habituels, ou qui cherchaient à s’en procurer, et que celle qui la tenait sous son nom vivait de cet honnête commerce. Dites, ma chère amie, ne parlerai-je pas de votre monstre avec exécration ? Mais les expressions sont foibles. Que puis-je imaginer d’assez fort, pour exprimer mon horreur ? Miss Lardner a gardé le secret pendant quelques jours, sans savoir à quoi se déterminer. Elle vous aime. Elle est remplie de tendresse et d’admiration pour vous. Enfin, elle l’a confié, par une lettre, à Miss Bidulphe, qui, dans la crainte de me faire tourner l’esprit en me l’apprenant sans précaution, l’a communiqué à Miss Loyd. Ainsi, comme la plupart des nouvelles scandaleuses, il n’est venu à moi qu’après avoir passé par divers canaux ; et je n’en suis informée que depuis lundi dernier. à