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plus favorables, de jour en jour ; si je n’avais reçu, depuis vingt-quatre heures, des éclaircissemens qui sont de la dernière importance pour vous. Mais il faut que je m’arrête ici, et que je fasse un tour ou deux dans ma chambre, pour contenir la juste indignation qui se communiquerait à ma plume, dans le récit que j’ai à vous faire. Je ne me sens pas assez maîtresse de moi. D’un autre côté, ma mère est sans cesse en mouvement, les yeux ouverts sur toutes mes actions, comme si j’écrivais à un homme. Cependant je veux essayer si je suis capable d’un peu de modération. Les femmes de la maison où vous êtes… ah, ma chère ! Les femmes de cette maison… mais vous n’en avez jamais pensé fort avantageusement ; ainsi vous ne sauriez être fort surprise… et vous n’auriez pas fait un long séjour avec elles, si l’espérance de prendre bientôt une maison à vous, ne vous avait rendue moins inquiète et moins curieuse sur le fond de leur caractère et de leur conduite. Cependant il serait à souhaiter aujourd’hui que vous les eussiez observées de plus près. Mais je vous cause de l’impatience. En un mot, ma chère, vous êtes certainement dans une maison infernale. Soyez sûre que la vieille est une des plus misérables femmes qui soient au monde. Et vous ne la connaissez pas sous son vrai nom ; comptez là-dessus. Elle ne s’appelle pas Sinclair. La rue où elle demeure n’est pas la rue de Douvres. N’êtes-vous donc jamais sortie seule, et n’avez-vous pas changé de voiture pour revenir ? Je ne me souviens pas, à la vérité, que vous me l’ayez marqué. Vous n’auriez jamais retrouvé votre chemin, en nommant, ou la Sinclair, ou la rue. Votre monstre ne serait peut-être pas inexcusable de vous avoir tenue dans cette erreur, si la maison était honnête, et s’il ne s’était proposé que de vous mettre à couvert de la violence de votre famille. Mais il me semble que cette imposture a précédé le complot de votre frère. Ainsi ses intentions ne peuvent être excusées ; et quelque jugement qu’on doive porter aujourd’hui de ses vues, elles ne pouvaient être alors que celles d’un infame. Que je regrette amèrement de m’être laissé engager, d’un côté, par vos excès de délicatesse, et de l’autre par la tyrannie de ma mère, à demeurer tranquille, avant que d’avoir su directement votre adresse. Je m’imagine même que la proposition de faire passer nos lettres par une main tierce est venue de lui ; et que vous n’y avez consenti, comme moi, que pour me mettre en état de répondre que je ne savais pas où vous adresser les miennes. Foible et vaine considération ! J’ai honte de moi-même. Quand cette raison aurait eu d’abord quelque force, devait-elle me faire persister dans la même folie, lorsque je vous ai vu du dégout pour votre logement, et lorsqu’il a commencé à chercher des prétextes pour ses délais ? Mais la maison qu’il vous proposait dans le même tems, nous a menées l’une et l’autre comme deux folles, attachées au même cordon. En vérité, ma chère, cet homme est tout ce que je connais de plus infame et de plus méprisable. Combien n’aura-t-il pas ri de votre crédulité et de la mienne. Cependant, qui se serait imaginé qu’un homme fort bien établi dans le monde, et de quelque réputation (je parle de Doleman, et non assurément de votre monstre), autrefois libertin à la vérité, (car je n’ai pas attendu si long-temps à m’informer de son caractère) ; marié à une