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indignation. Bientôt les deux nymphes auront leur tour. Je ne leur reprocherai pas avec moins de violence les effets de ma propre folie. C’est en même tems un fort bon moyen de prévenir les railleries auxquelles je devais m’attendre, pour avoir manqué cette nuit une si belle occasion. J’ai recueilli, des informations du porteur, et des observations de Dorcas avant l’évasion de cette cruelle fille, une description de la manière dont elle était mise aujourd’hui ; et je suis résolu, si je n’apprends point de ses nouvelles par d’autres voies, de la faire proclamer dans la gazette comme une femme fugitive, sous son nom de fille et sous le mien. Puisque sa fuite ne peut être ignorée long-temps de mes ennemis, pourquoi ferais-je difficulté d’en instruire tous mes amis, dont les mouvemens et les recherches peuvent m’aider, après tout, à la découvrir ? Elle avait une robe brune très-fraîche, et qu’on croirait neuve, comme tout ce qu’elle porte, neuf ou vieux, par une élégance qui lui est naturelle ; un chapeau de velours ; un ruban noir autour du cou, un nœud blanc sur la poitrine, un jupon de satin piqué couleur de chair, un rubis que je lui suppose au doigt ; et dans toute sa personne, comme je ne manquerai pas de l’observer, un air de dignité qui la recommande, autant que la beauté de son visage et de sa taille, à l’attention de tous ceux qui la voient. La description particulière de ses charmes demandera un peu plus de peine, et j’ai besoin, pour cette entreprise, d’avoir l’esprit plus tranquille. J’avertirai que, si je n’apprends rien d’elle, après un certain temps que j’accorderai pour son retour volontaire, ma résolution est de poursuivre quiconque présumera de la loger, de la garder, de la nourrir, ou de la protéger, avec toute la vengeance à laquelle un mari furieux peut être autorisé par les loix, ou par son propre ressentiment. Autre sujet de fureur. Il faut que je me soulage en t’écrivant, sans quoi je deviendrai fou. étant retourné à sa chambre, par la seule raison que c’était la sienne, et lâchant la bride à mes soupirs sur chaque pièce de l’ameublement, j’ai jeté les yeux sur un tiroir d’où j’ai vu sortir le coin d’une lettre. Avec quel empressement je m’en suis saisi ! J’ai trouvé pour adresse : à Monsieur Lovelace. Cette vue m’a fait sauter le cœur. Je me suis senti si tremblant, qu’à peine ai-je pu rompre le cachet. Que ce perfide amour m’énerve ! Mais jamais passion n’approcha de la mienne. Elle ne fait qu’augmenter par cette indigne fuite, et par le renversement de mes espérances. L’ingrate ! Se dérober à des sentimens si tendres, qui croissent par ce qui devrait les refroidir et les éteindre ! Je ne veux point t’envoyer une copie de sa lettre. Je ne dois pas un si bon office à la cruelle. Mais te serais-tu jamais imaginé que cette fille hautaine, qui s’entend si bien à violer des promesses, pût renoncer à moi, m’abandonner barbarement pour l’aventure de cette nuit ; qu’elle fût capable de passer sur toutes ses espérances de réconciliation avec une indigne famille, qui ne laisse pas d’être en possession de tout son cœur ? Aussi, Belford, que je me crois bien acquitté de toute obligation ! Et qu’il lui reste peu de droits à tout ce qu’elle pouvait attendre de mon amour ! Mon regret est de l’avoir ménagée. Je ne puis soutenir mes propres réflexions sur cette