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portières ; et dans un instant, cet homme a perdu le carrosse de vue. Will, après cet éclaircissement, s’est hâté de suivre ses traces. Il a déclaré, en partant, que jamais il ne reparoîtrait devant moi, s’il ne pouvait m’apporter de ses nouvelles. Mon unique espoir, cher Belford, c’est que ce misérable qui nous a suivis dans nos promenades à Hamstead, à Muzzlehil, à Kentish-Town, entendra parler d’elle dans quelqu’un de ces lieux. J’ai d’autant plus de confiance à cette idée, qu’un jour, il m’en souvient, elle s’est informée curieusement des voitures et de leur prix, en admirant les commodités qu’on a pour voyager à toute heure. Will était présent. Malheur à lui, s’il est capable de l’avoir oublié ! Je viens de visiter son appartement, livré à mes farouches réflexions, et portant néanmoins à ma bouche tout ce qu’elle a touché, ou ce qu’elle employait à son usage. J’ai brisé le miroir qui lui servait à s’habiller, parce qu’il ne m’a pas représenté l’image qu’il a reçue tant de fois, et qui m’est pour jamais présente. Je l’appelle par son nom, comme si elle pouvait m’entendre, tantôt dans des termes passionnés, tantôt avec les plus vifs reproches. Il semble que depuis qu’elle me manque, mon ame, ou tout ce qui était capable de me plaire dans la vie, m’ait cruellement abandonné. Quel vide dans mon cœur ! Quel froid dans mes veines ! La circulation de mon sang s’est comme arrêtée. Je retourne sans cesse sur mes pas, de ma chambre à la sienne ; j’entre dans la salle à manger : mes regards s’attachent sur tous les lieux où je me rappelle d’avoir vu les délices de mon cœur ; mais ils ne peuvent s’y fixer long-temps : son aimable image me frappe aussi-tôt dans quelqu’attitude vive, où je la crois voir encore, et qui fait saigner toutes mes plaies. Cependant, depuis que j’ai entendu le récit du vieux démon, et que j’ai formé quelque légère espérance sur les informations du porteur, je me sens un peu plus tranquille. à chaque minute, je pousse des souhaits ardens pour le succés des recherches de Will. Si je la perds, toute ma rage renaîtra, sans doute, avec un redoublement de transports. L’humiliation de voir mes stratagêmes et mes inventions surpassées par une novice, d’être trompé par un enfant, jointe à la violence de ma passion, sera capable, ou de me faire mourir de honte et de chagrin, ou, ce qui sauve quelquefois la vie dans des maux insupportables, de renverser tout-à-fait ma raison. Qu’avais-je à faire de sortir, et d’aller solliciter des permissions de prêtres, du moins avant que de l’avoir vue, et d’avoir fait ma paix avec elle ? Si ce n’était pas l’usage des maîtres, de rejeter toutes leurs fautes sur ceux qui les servent, et de n’avoir jamais rien à se reprocher, je serais tenté de reconnaître que je suis plus coupable que personne. Cette réflexion ne manquera pas de devenir plus cuisante, si je perds malheureusement un reste d’espoir : et comment serai-je capable de la supporter ? Mais si je suis assez heureux… le vieux Cerbère sort à l’instant de ma chambre, avec cette malheureuse Dorcas, qu’elle m’avait amenée pour me demander pardon. Je ne leur ai fait grâce qu’à demi, et je ne leur ai pas épargné les marques de mon