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carrosses, qui étoient depuis une heure aux environs, et de demander aux porteurs et aux cochers, s’ils n’avoient pas vu une jeune personne dont ils décrivaient la figure. Ces informations leur ont procuré quelque lumière ; seul rayon d’espérance qui me soutient contre le dernier désespoir. Un porteur a dit qu’un peu avant quatre heures, il avait vu sortir de la maison une jeune fille de telle figure, avec un air de précipitation et de frayeur, tenant à la main un petit paquet lié dans un mouchoir ; qu’il l’avait fait observer à son compagnon, qui s’était offert à la porter, sans avoir reçu d’elle aucune réponse ; que c’était une fort jolie personne, et qu’il lui croyait un mauvais mari, ou des parens de mauvaise humeur, parce qu’elle paroissait avoir les yeux gros de larmes : sur quoi un troisième porteur a remarqué que ce pouvait être quelque colombe échappée du parc. La vieille, en me faisant ce récit, s’est emportée contre l’infame vilain, qu’elle souhaiterait, m’a-t-elle dit, de pouvoir retrouver. Elle avait cru sa réputation, a-t-elle ajouté, mieux établie dans le quartier, vivant sur un si bon pied, étant si exacte à payer tout ce qu’elle prend, ne recevant que des gens d’honneur, et n’ayant jamais souffert le moindre bruit dans sa maison. Sur les apparences, un des porteurs avait suivi ma fugitive, sans qu’elle pût s’en défier. Elle a regardé souvent derrière elle. Chaque passant tournait la tête pour la suivre des yeux, et portait son jugement sur cette rencontre. Enfin, trouvant un carrosse vide qui s’est offert, elle l’a pris. Le cocher s’est hâté d’ouvrir la portière, en remarquant son air empressé. Elle a voulu monter brusquement ; et le porteur croit qu’ayant fait un faux pas, elle s’est blessée au menton. Que je périsse, Belford, si, malgré sa noire tromperie, mon généreux cœur n’est pas vivement touché, lorsque je considère quelles devaient être alors ses réflexions et ses craintes ! Une femme si délicate, qui court les rues à pied, qui ne prête l’oreille à rien, qui croit voir apparemment, dans chaque homme qu’elle rencontre, un Lovelace prêt à la saisir ; qui ne connaît pas, d’ailleurs, les périls auxquels sa résolution va l’exposer, ni de qui, ni de quel côté elle peut se promettre un asile ; étrangère à Londres ; l’après-midi fort avancée, avec très-peu d’argent, et sans autres habits que ceux qu’elle avait sur elle. Dans un espace aussi court que depuis la dernière nuit, il n’est pas vraisemblable que la Towsend de Miss Howe ait pu contribuer à sa fuite. Mais combien doit-elle me haïr, pour s’exposer à tant de dangers ? Quelle horreur doit-elle avoir conçue pour moi depuis la nuit passée ? Ah ! Que n’ai-je donné un fondement plus juste à des ressentimens si violens ? Qu’on ne me parle pas de sa vertu, je suis trop furieux pour lui en faire un mérite. Est-ce vertu qui lui a fait fuir la charmante perspective que je venais d’ouvrir devant elle ? Non ; c’est malice, haine, mépris, orgueil d’Harlove, et toutes les mortelles passions qui ont jamais régné dans le cœur d’une femme. Si je puis la faire rentrer sous le joug !… mais, silence, ma fureur ! Modérez-vous, orageux transports ! N’est-ce pas contre ma chère, ma divine Clarisse, que j’ai l’impiété de m’emporter ? Le même témoin prétend avoir entendu de sa bouche : allez vîte, très-vîte. Où, mademoiselle ? A demandé le cocher. à la barrière d’Holborn, a-t-elle répondu, en répétant : allez très-vîte. Elle a levé les deux ais des