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Elle m’a objecté la gaieté de mon habillement : elle m’a dit que, pour aller à saint-Paul, elle pouvait prendre un carrosse, et partir sans moi. Je lui ai représenté ce qu’elle avait à craindre de Singleton et de son frère, et je lui ai offert de prendre le plus simple de mes habits. Ne me refusez pas, lui ai-je dit, la faveur de vous accompagner. Il y a très-long-temps que je n’ai été à l’église. Nous nous placerons dans différens bans ; et la première fois que j’y retournerai, ce sera, j’espère, pour acquérir des droits au plus grand bonheur que je puisse recevoir. Elle m’a fait quelques autres objections ; mais enfin, elle m’a permis de partir avec elle. Je me suis placé à sa vue, pour trouver le tems moins ennuyeux ; car nous sommes arrivés de bonne heure : et je me suis si bien conduit, que je lui ai donné fort bonne opinion de moi. Le sujet du sermon était assez singulier : c’était l’histoire d’un prophête, ou la parabole d’une jeune brebis enlevée par un homme riche à un pauvre qui l’aimait chèrement, et qui n’avait pas d’autre plaisir au monde. Le prophête avait en vue d’inspirer des remords à David, sur son adultère avec Bethsabée, femme d’Urie, et sur le meurtre du mari. Ces femmes, Belford, ont été de tout temps l’occasion d’une infinité de désordres. Enfin, lorsque le roi David eut juré, dans son indignation (tu vois, mon ami, que le roi David jurait : mais comment saurais-tu qui était le roi David ? L’histoire est de la bible), aussi-tôt, dis-je, qu’il eut juré de punir l’homme riche, le prophête, qui se nommait Nathan, honnête personnage et de fort bon esprit, s’écria dans ces termes, qui étoient ceux du texte : cet homme, c’est toi . Par ma foi ! J’ai cru que le prédicateur jetait directement les yeux sur moi ; et les miens se sont tournés au même moment sur ma jeune brebis. Mais je dois dire aussi que je me suis souvenu en même temps de mon bouton de rose : après tout, sur ce point, me suis-je dit à moi-même, je vaux mieux que le roi David. à notre retour, nous nous sommes entretenus du sermon. J’ai prouvé à ma charmante que j’avais été fort attentif, en lui rappelant les endroits où le prédicateur avait tiré le plus de parti de son sujet, et ceux qu’il aurait pu toucher avec plus d’avantage ; car l’histoire est réellement fort touchante, et je n’ai rien vu de mieux imaginé. J’ai fait ces réflexions d’un air si grave, que la satisfaction de la belle m’a paru croître de plus en plus : et je ne doute point qu’elle ne m’accorde demain au soir l’honneur de sa présence, à ma collation. Dimanche au soir. Nous avons dîné tous ensemble, dans la salle à manger de Madame Sinclair. Tout est dans la meilleure situation. Les deux nièces ont fort bien joué leur rôle, et Madame Sinclair le sien. Je n’ai pas encore vu ma charmante si tranquille. " d’abord, m’a-t-elle dit, elle n’avait pas eu trop bonne idée de ces gens-là. Madame Sinclair lui avait semblé rebutante. Ses nièces étoient de jeunes personnes avec lesquelles elle n’aurait pas souhaité de liaison. Mais, réellement, il ne fallait pas être trop précipité dans les censures. Bien des gens gagnent à se faire connaître. La veuve lui paroissait supportable (c’est toute la faveur qu’elle lui fait). Miss Martin et Miss Horton sont deux jeunes filles de fort bon sens, et qui ont beaucoup de lecture. Ce que Miss Martin, particulièrement, a dit du mariage et de l’homme qui la recherche, était très-solide. Avec de tels principes, elle ne saurait faire une mauvaise femme ". Remarque,