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rendu justice ? Pourquoi me chagrines-tu donc par ton impertinente morale ? Cependant je te pardonne, Belford ; car je suis capable de tant de générosité en amour, que je consentirais plutôt à me voir condamné de tout le monde, qu’à devenir l’occasion de la moindre tache dans le caractère de ce que j’aime. Cette chère personne m’a dit un jour qu’il y avait un mêlange surprenant dans le mien. Les deux fières beautés m’ont donné le nom de diable et de Belzébuth dans leurs lettres. Je serais effectivement un Belzébuth, si je n’avais pas quelques qualités supportables. Mais s’il faut en croire Miss Howe, le temps des souffrances est la saison brillante de ma belle. Elle n’a donc fait, jusqu’à présent, que briller avec moi. Elle me traitait d’ infame , il n’y a pas deux heures. à quoi se réduit le fond de l’argument ? Si je n’avais pas un peu mérité le nom d’infame, dans le sens qu’elle donne à ce mot, elle mériterait moins celui d’ange. Ah, Belford ! Belford ! Cette entreprise nocturne m’a rendu fou, m’a perdu sans ressource. Comment la chère personne peut-elle dire que je l’ai avilie à ses propres yeux, lorsque sa vertu et son ressentiment l’ont tant exaltée aux miens ? Mais de quelle étrange rapsodie t’ai-je entretenu ? à quoi dois-je l’attribuer ? Viendrait-elle du lieu où je suis, ou plutôt de ce que je ne suis plus chez la Sinclair ? Mais si cette maison est infectée, comment ma charmante est-elle échappée à la contagion ? Je change de style. Il faut voir quelle sera sa conduite à mon retour. Cependant, je commence à craindre déjà quelque foiblesse, quelque petite altération ; car je sens renaître un doute. Pour son propre intérêt, dois-je souhaiter qu’elle me pardonne facilement, ou avec peine ? Il y a beaucoup d’apparence que j’obtiendrai la permission. J’ai fait des réflexions plus libres sur chaque point contesté entre ma belle et moi, et toutes mes difficultés sont évanouies. Ce qui m’a déterminé si promptement, c’est que je crois avoir pénétré ses vues dans cette distance où elle prétend me tenir pendant une semaine entière. Elle veut se donner le temps d’écrire à Miss Howe, pour réveiller son maudit systême, et se procurer les moyens de me quitter, en renonçant tout-à-fait à moi. à présent, Belford, si je n’obtiens pas la liberté de la voir à mon retour ; si je suis refusé avec hauteur ; si l’on insiste sur une semaine d’absence, je croirai ma conjecture certaine, et je demeurerai convaincu que son amour, du moins, doit être bien foible, pour écouter une vaine délicatesse, dans le temps que les médiateurs de la réconciliation n’attendent que ses ordres : c’est l’idée qu’elle doit en avoir. Alors je me rappellerai toutes ses rigueurs et tous ses caprices ; je relirai les lettres de Miss Howe ; je lâcherai la bride à mon aversion pour les entraves du mariage, et je me rendrai maître d’elle à mon gré. Cependant je me flatte encore que ce soir je la trouverai mieux disposée ; que la menace d’une semaine d’éloignement lui est échappée dans la chaleur de sa passion ; et qu’elle conviendra que j’ai autant de reproches à lui faire pour m’avoir manqué de parole, qu’elle croit m’en devoir pour avoir troublé la paix. Il me revient quatre vers, qui paroissent faits exprès pour demander cette grâce à l’amour. Je les répéterai dévotement dans ma chaise, en retournant bientôt au logis.