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plus important pour nous, à celui du capitaine Tomlinson. Mettons-nous en état, je vous en supplie, madame, de pouvoir l’assurer, à sa première visite, que nous ne sommes plus qu’un. Comme les apparences ne me promettent pas l’honneur de dîner avec vous, je ne reviendrai point au logis avant le soir. Alors je m’attends, (vos promesses, madame, autorisent ce terme), à vous trouver dans la résolution de rendre heureux demain, par votre consentement, votre adorateur passionné, Lovelace. Quel plaisir, Belford, je m’étais promis à jouir de la douce confusion où je m’attendais à la trouver, dans la chaleur récente de l’aventure ! Mais elle me verra : rien ne peut la dispenser de me voir à mon retour. Il serait plus avantageux pour elle, et peut-être pour moi, qu’elle n’eût pas fait tant de bruit à l’occasion de rien. Elle m’a mis dans la nécessité de nourrir ma colère, pour ne me pas laisser surprendre par la compassion. Quelque sujet qu’on ait de se plaindre, l’amour et la compassion ne se séparent pas facilement ; au lieu que la colère change en ressentiment ce qui deviendrait pitié sans elle. Rien ne paraît aimable dans ce qui nous déplaît entiérement. J’avais donné ordre à Dorcas de lui dire, en mettant mon dernier billet sous la porte, que j’espérais un mot de réponse avant que de sortir. Elle a répondu de bouche : " dites-lui, que peu m’importe s’il sort, et que je ne prends pas plus d’intérêt à tous ses desseins. " pressée encore une fois par Dorcas, elle a répété qu’elle n’avait rien de plus à dire. Je ne suis pas sorti sans m’être approché doucement de sa porte : je l’ai vue par la serrure, à genoux au pied de son lit, la tête et le sein penchés sur le lit, les mains étendues, poussant des sanglots que j’entendais à cette distance, comme dans les douleurs d’une mortelle agonie. Ma foi, Belford, j’ai le cœur trop sensible à la pitié : la réflexion est mon ennemie. Divine fille ! Que nous nous sommes vus heureux pendant quelques jours ! Pourquoi ne le sommes-nous plus ? Mais le cœur de Clarisse est la pureté même. Et quel plaisir, après tout, puis-je prendre à tourmenter… en vérité, dans la disposition où je suis, je ne dois pas me fier à moi-même. Pour me désennuyer, en attendant ici Mowbray et Mallory, qui doivent me faire obtenir la permission, j’ai tiré les papiers que j’avais sur moi, et ta dernière lettre est le premier qui s’est présenté. Je t’ai fait l’honneur de la relire. Elle m’a remis devant les yeux le sujet sur lequel je n’osais me fier à mes réflexions. Je me souviens que dans sa réponse à mes articles, cette chère fille observe que la condescendance n’est point une bassesse . Qui entend mieux qu’elle à vérifier cette maxime ? Il est certain que la condescendance renferme de la dignité. J’ai toujours remarqué de la dignité dans la sienne ; mais une dignité adoucie par les grâces ; car elle n’y a jamais mêlé d’orgueil, ni d’air insultant, ni la moindre affectation de supériorité. Miss Howe, qui la connaît mieux que personne, m’a toujours dit que c’était le fond de son caractère. Je pourrais lui enseigner la conduite qu’elle aurait à prendre, pour me fixer éternellement dans ses chaînes. Elle sait qu’il lui est impossible de fuir ; elle sait que tôt ou tard il faut qu’elle me revoie, et qu’elle se ferait