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pour celle-ci que la force de sa douleur. Mais c’est un mal, comme tu sais, dont l’action est assez lente, et qui laisse place à de petits accès de joie dans les intervalles.



M Lovelace, à M Belford.

jeudi, à huit heures du matin. Sa chambre n’est point encore ouverte. Je ne dois pas m’attendre qu’elle déjeûne avec moi, ni même apparemment qu’elle y dîne. Petite capricieuse ! Combien de peine elle se cause par ses excès de délicatesse ? Toute autre femme n’aurait fait que rire de ce qui s’est passé entr’elle et moi. L’idée qu’elle s’en forme ne sert qu’à nous tourmenter tous deux. Qu’en penses-tu, Belford ? S’il est vrai qu’elle soit fâchée, ne ferait-elle pas mieux, dans ses propres principes, de ne pas marquer tout le chagrin qu’elle affecte ? Mais qui sait si mes craintes ne vont pas trop loin ? Je le croirais volontiers. Elles viennent plutôt de son excessive délicatesse, que d’aucun juste sujet de ressentiment. La première fois peut-être elle s’estimera fort heureuse s’il ne lui arrive rien de pis. La chère personne a été si fatiguée, si effrayée cette nuit, qu’il n’est pas surprenant qu’elle demeure un peu plus long-temps au lit. Je souhaite qu’elle y ait trouvé plus de repos que moi, et qu’un sommeil doux et paisible l’ait disposée à me recevoir un peu plus tranquillement. Je la vois d’avance ; une douce rougeur, un air de confusion. Mais pourquoi de la confusion dans celle qui souffre, tandis que l’offenseur en ressent si peu ? Effet prodigieux de l’habitude ! On apprend aux femmes que la rougeur relève leurs grâces. Elles se forment à rougir. C’est un art qui leur devient aussi facile que celui des larmes. Oui, l’explication me plaît assez ; tandis que nous autres hommes prenant la rougeur, entre nous, pour une marque de mauvaise conscience ou de timidité, nous n’apportons pas moins d’étude à nous en défendre. Par ma foi, Belford, je suis presqu’aussi confus de reparoître aux yeux des femmes de cette maison, que ma Clarisse peut l’être de se présenter aux miens. Je n’ai point encore ouvert ma porte, dans la crainte qu’elles ne viennent fondre sur moi. De quel degré de corruption ce sexe n’est-il pas capable ? Et quelle doit être celle de deux filles qui, ayant eu pour un homme autant de passion que Polly et Sally en ont eu pour moi, ont pu devenir assez insensibles aux tourmens de la jalousie, à la mortification de partager ce qu’on aime avec de nouveaux objets, pour souhaiter qu’il leur donne une rivale, et pour faire leur plaisir suprême de voir d’autres femmes réduites à leur niveau ? Tu ne saurais te représenter combien Sally même se réjouissait, cette nuit, de la seule pensée que l’heure de Clarisse approchoit. à dix heures. De ma vie je n’ai rien désiré avec tant d’impatience que de voir ma charmante. On croit avoir entendu quelque mouvement dans sa chambre. Dorcas vient de frapper à sa porte pour lui demander ses ordres. La réponse, c’est qu’on n’a pas d’ordre à lui donner. Elle a demandé à