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l’offense assez loin, disais-je en moi-même, pour douter qu’elle m’ait pardonné de bonne foi ; et de quelque excès qu’elle soit capable dans son désespoir, ma dernière ressource sera le mariage, pour l’appaiser. Le ciel m’a puni. J’ai trouvé sa porte fermée. Cependant, comme je l’entendais pousser des soupirs et des sanglots fort violens : chère Clarisse, lui ai-je dit en frappant doucement à sa porte, j’ai deux mots à vous dire, les plus agréables que vous ayez jamais entendus de moi. Permettez que je vous parle un instant. Elle s’est mise en mouvement pour venir à la porte. Je me suis flatté qu’elle allait ouvrir ; et mon cœur a sauté de joie dans cette espérance. Mais elle n’a fait que pousser un autre verrou, pour rendre la barrière plus sûre ; et, soit qu’elle n’ait pas eu la force ou la volonté de répondre, elle s’est retirée au fond de son appartement. J’ai repris le chemin du mien, aussi mécontent de moi-même que tu peux te l’imaginer. Telle était ma mine. Tel était mon complot. Et tel est malheureusement tout le fruit que j’en ai tiré. Je l’aime plus éperdument que jamais. Eh ! Comment pourrais-je m’en défendre ? Cette aventure m’a fait découvrir mille nouveaux sujets d’extravagance et d’idolâtrie. Ah ! Belford, Clarisse est un composé de toutes les perfections. Je la crois mortellement offensée ; mais ne vois-tu pas que j’ai, pour obtenir grâce, un titre que tout le monde m’a refusé jusqu’aujourd’hui ? Je veux dire, un fond réel de sensibilité pour les prières et pour les larmes. Où étoit, dans cette occasion, le calus , la cuirasse d’acier, dont on prétend que j’ai le cœur armé ? C’est, à la vérité, le premier exemple de cette nature, qu’on puisse nommer dans l’histoire de ma vie. M’en demandes-tu la raison ? C’est que je n’ai jamais trouvé de résistance si sérieuse, ni d’obstacles qui méritent si bien le nom d’invincibles. Quel triomphe son sexe obtient, dans mes idées, par une si belle défense ! à présent, Belford, si ma charmante peut me pardonner… que dis-je, si elle le peut ? Elle le doit. Ne l’a-t-elle pas déjà fait sur son honneur ? Mon embarras est de savoir comment la chère petite personne remplira cette partie de sa promesse qui l’oblige de me voir demain, comme s’il n’était rien arrivé pendant la nuit. Je me figure qu’elle donnerait le monde entier pour être quitte de notre première entrevue. Le meilleur parti pour elle n’est pas d’en venir aux reproches. Cependant, pourquoi lui donnerais-je ce conseil ? La charmante occasion qu’elle m’offrirait ! Qu’elle manque à sa parole ! Je lui en souhaiterais l’audace. Il lui est impossible de fuir. La voie de l’appel est fermée hors de mon tribunal. Quels amis lui reste-t-il dans le monde, si ma compassion ne se déclare point en sa faveur ? D’ailleurs, le digne capitaine Tomlinson et l’oncle Jules sauront tout réparer, de quelque nouvelle offense que je puisse me rendre coupable. à l’égard de tes craintes sur quelque emportement qui pourrait lui faire tourner sa fureur contr’elle-même, j’ignore de quoi elle aurait été capable, si les ciseaux ou quelqu’autre instrument s’étoient trouvés sous sa main ; mais j’ose dire que, de sang froid, il n’y a rien de cette nature à craindre d’elle. Un galant homme n’a que trop de peine avec ces vertueuses filles ; car je commence à croire qu’il s’en trouve au monde. Il faut bien qu’il ait quelque chose sur quoi il puisse se reposer ; c’est l’attachement même qu’elles ont pour leurs principes. En un mot, je n’appréhende