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preuve pour m’assurer que sa colère était sérieuse. J’ai eu plus de peine à la retenir que je ne puis te le représenter, et je n’ai pu l’empêcher à la fin de glisser d’entre mes bras, pour tomber à genoux. Là, dans l’amertume de son cœur, les yeux attachés sur les miens, les mains levées, les cheveux épars (car sa coëffure de nuit étant tombée, dans le débat, sa charmante chevelure s’était déployée en boucles naturelles, comme pour cacher officieusement les beautés de son cou et de ses épaules), le sein agité par la violence de ses soupirs et de ses sanglots, comme pour aider ses lèvres tremblantes à plaider pour elle ; là, dans cette humble posture, après avoir fait un effort sur sa douleur pour recouvrer le pouvoir de parler, elle a imploré ma compassion et mon honneur avec cette force d’expression qui distingue cette admirable fille, dans son langage, de toutes les femmes que j’aie jamais entendues. Regardez-moi, cher Lovelace (ce sont ses propres termes), je vous supplie à genoux de me regarder comme une malheureuse créature, qui n’a que vous pour protecteur, qui n’a que votre honneur pour défense ! Par cet honneur, par votre humanité, par tous les sermens que vous m’avez faits, je vous conjure de ne me pas rendre un objet d’horreur à moi-même, et pour jamais méprisable à mes propres yeux. Je lui ai parlé de demain, comme du plus heureux jour de ma vie. Ah ! Demain. Non, non, a-t-elle repris ; si vos vues sont honorables, c’est à présent, c’est à l’instant, qu’il faut le prouver en sortant d’ici. Jamais, jamais, dans la plus longue vie, vous ne pouvez réparer ce que vous me faites souffrir. Insolent ! Misérable ! Infame !… s’est-elle écriée tout d’un coup. Oui, elle a eu l’audace de m’appeler infame, quoique livrée actuellement à mon pouvoir. Et pourquoi ? Parce que ne pouvant résister au charmant spectacle que j’avais devant les yeux, j’ai saisi sa tête de mes deux mains, et, dans le même transport, j’ai baisé successivement son cou, ses lèvres, ses joues, son front et ses yeux baignés de larmes, à mesure que cet assemblage de beautés s’offrait à ma vue. Si je suis un infame, lui ai-je dit en même tems, si je suis un infame… et, ma main devenant plus hardie… je me flatte néanmoins de ne l’avoir pas portée trop rudement sur un sein si délicat… si je suis un infame… elle a déchiré ma manchette ; elle s’est arrachée de mon heureuse main, avec une force et une agilité surprenante, dans le moment que je voulais passer l’autre bras autour d’elle… oui, un infame, a-t-elle répété, et le plus infame de tous les hommes. Au secours ! Au secours ! S’est-elle mise à crier d’une voix lamentable ; anges du ciel ! Charitables gens de la maison. N’y a-t-il pas de secours à espérer pour une malheureuse ? Cette résistance ne faisait qu’irriter mes transports. Je suis donc un infame, miss ? Suis-je un infame, dites-vous ? Et passant les deux bras autour d’elle, je l’ai soulevée jusqu’à mon cœur, dont je ne pouvais contenir l’agitation. Ah ! Non, non ; vous êtes… et se reprenant ; mais n’êtes-vous pas… cependant, elle est revenue à me nommer son cher Lovelace. Ses deux mains étoient moins occupées à se défendre qu’à couvrir son sein. Tuez-moi, m’a-t-elle dit d’un air égaré, tuez-moi, si je suis assez odieuse à vos yeux pour mériter ce traitement : j’aurai des grâces