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jusqu’à la porte, j’ai ouvert, j’ai crié : où ? Où ? Où ? Presque aussi effrayé que Dorcas. Elle était à demi déshabillée, son corset dans une main, et sans avoir la force d’articuler ses mots ; de l’autre, elle m’a montré le second étage. J’y ai volé aussitôt ; et j’ai trouvé que tout le mal venait de la négligence de notre cuisinière, qui, ayant passé une partie de la nuit à lire un conte des fées, avait mis le feu, en se couchant, à une vieille paire de rideaux de toile des indes. Dans sa frayeur, elle avait eu la présence d’esprit de les arracher ; et tout enflammés comme ils étoient, elle venait de les jeter dans la cheminée lorsque je suis entré dans sa chambre ; de sorte que j’ai eu la satisfaction d’arriver après le danger. En même tems, Dorcas, après m’avoir montré le siège de l’incendie, ne sachant point que le péril fût passé, et s’attendant à voir la maison réduite en cendres, par un tendre mouvement d’affection pour sa maîtresse (ce zèle me la fera aimer toute sa vie), a couru vers sa porte. Elle a frappé rudement. Elle s’est écriée, d’une voix renaissante et aussi vive que son affection. Au feu ! Au feu ! La maison est en feu. Levez-vous, madame, levez-vous promptement, si vous ne voulez pas être brûlée dans votre lit. à peine avait-elle proféré ces terribles cris, que j’ai entendu tirer les verroux et les barres, tourner la clé, ouvrir la porte de sa maîtresse ; et je n’ai pas distingué moins clairement la voix de ma charmante, dont le son paroissait celui d’une personne prête à s’évanouir. Vous pouvez juger combien j’ai été touché. J’ai frémi d’inquiétude pour elle. J’ai volé plus légérement que je n’avais fait à la première nouvelle du feu, pour l’assurer qu’il ne restait rien à craindre. En arrivant à la porte de la chambre j’y ai trouvé la plus charmante de toutes les femmes, appuyée sur le bras de Dorcas, soupirant, tremblant, prête à tomber sans connaissance ; n’ayant sur elle qu’un petit jupon, le sein à demi découvert, et les pieds nuds dans ses mules. Aussitôt qu’elle m’a vu, elle s’est efforcée de parler ; mais elle n’a pu prononcer que mon nom… ô M Lovelace ! Et je l’ai crue menacée de tomber à mes pieds. Je l’ai prise dans mes bras, avec une ardeur que je ne lui avais point encore fait sentir. Ma très-chère vie ! Lui ai-je dit, soyez sans crainte : je suis monté ; le danger n’est plus rien ; le feu est presque éteint. Imprudente Dorcas, comment avez-vous été capable d’effrayer mon ange jusqu’à ce point, par vos hideuses exclamations ? Ah ! Belford, quels charmes dans le mouvement de son sein, tandis que je la tenais serrée contre le mien ! Je distinguais jusqu’au battement de son cœur ; et pendant quelques minutes, j’ai continué d’appréhender pour elle une attaque de convulsions. Dans la crainte qu’elle ne s’enrhumât, nue comme elle étoit, je l’ai portée sur son lit, et je me suis assis près d’elle, m’efforçant, par la tendresse de mes expressions et par mes caresses passionnées, de dissiper ses terreurs. Mais, qu’a produit le généreux soin que j’avais pris d’elle, et le bonheur de lui avoir fait rappeler ses esprits ? Rien, rien de la part d’une ingrate, excepté de la colère et des emportemens. Nous avions déjà perdu tous deux le souvenir du terrible danger qui l’avait jetée entre mes bras ; moi, par le transport de ma joie ; elle, par celui de sa frayeur, en sentant un de mes bras passé autour d’elle, et me voyant assis sur le bord de son lit. Ici, Belford, rappelle-toi