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Quoi ! Quoi ! Voudrais-tu m’étouffer ? C’est à mon cœur que je parle, Belford. Le traître s’est enflé jusqu’à me couper la respiration. Pourquoi tant de mouvement ? Lorsqu’un homme croit toucher au rivage, ces femmes réservées l’exposent encore à des tempêtes. Tout est-il prêt, Dorcas ? Ma bien-aimée m’a-t-elle tenu parole ? Mais d’où me viennent ces agitations que je ne puis appaiser ? Est-ce amour ? Est-ce effroi ? Je ne puis décider lequel des deux. Si je parviens seulement à la surprendre, avant que sa défiance… mes jambes tremblantes, mes genoux, naturellement si fermes, qui heurtent l’un contre l’autre ! Ces mains, qui ont déjà refusé deux fois de conduire ma plume, et qui me font des lignes si tortues, ne me manqueront-elles pas tantôt dans l’instant décisif ? Encore une fois, d’où peuvent venir toutes ces convulsions ? Assurément mon entreprise ne doit point aboutir au mariage. Mais les conséquences peuvent être plus graves que je ne l’ai pensé jusqu’aujourd’hui. La destinée de ma chère Clarisse ou la mienne peut dépendre du succès de ces deux heures. Je crois que j’abandonnerai mon projet. Il faut que je relise encore une fois la lettre de mon ami Belford. Tu auras beau jeu, ma charmante. Je vais relire tout ce que ton avocat a pu dire en ta faveur. De foibles raisons pourront suffire dans la situation où je suis.



M Lovelace, à M Belford.

jeudi, 8 de juin, à cinq heures du matin. C’est à présent que ma réformation est assurée. Jamais, jamais, je n’aimerai d’autre femme. Laisse-moi respirer. Ne me presse pas de mettre sous tes yeux ce qui demande de l’ordre dans les événemens, de la force dans les peintures, et une admiration éternelle pour chaque trait, c’est-à-dire, pour les moindres circonstances. N’as-tu pas remarqué la consternation où j’étais hier au soir en finissant ma dernière lettre, lorsque j’eus quitté la plume pour relire la tienne, dans la vue de me détourner moi-même du dessein de troubler ma belle par un réveil terrible ? De quoi crois-tu qu’il fût question ? Je vais te l’apprendre. Un peu après deux heures, lorsque toute la maison était endormie, ou qu’elle feignait de l’être ; ma Clarisse dans son lit, entre les bras du sommeil ; moi-même, en robe de chambre depuis plus d’une heure, quoiqu’à la vérité la plume à la main pour t’obliger ; j’ai été alarmé par le bruit de plusieurs personnes qui marchaient au-dessus de ma tête, et par celui d’un mêlange de voix, les unes plus hautes, les autres plus basses, mais qui semblaient se faire des reproches entr’elles, et s’entredemander du secours. Tandis que j’en cherchais la cause avec étonnement, Dorcas, se précipitant pour descendre, est venue crier à ma porte, d’une voix sourde, et plus horrible par cet accent sépulcral qu’elle ne l’aurait été par l’éclat : au feu ! Au feu ! Au feu ! Mon alarme en est devenue d’autant plus vive, que cette fille paroissait vouloir crier plus haut, sans le pouvoir. La plume m’est tombée des mains ; j’ai failli de renverser ma table, pour me lever ; et ne faisant que trois pas