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empire. Supposez que vous valiez mieux que moi sur plusieurs points, voyez si vous n’êtes pas pires sur quantité d’autres ; d’autant plus que je ne suis pas si partial pour mes défauts, que je les justifie à mes propres yeux, lorsque je me permets d’y réfléchir. " j’ajouterai une autre observation, tandis que je suis en haleine ; et tu me diras si tu la trouves aussi grave qu’elle l’est pour moi : " j’ai tant de passion pour les femmes, que si j’avais cru le caractère de la vertu nécessaire pour réussir auprès d’elles, j’aurais apporté plus de soin à régler mes mœurs, et plus de ménagement dans la conduite que je tiens avec ce sexe. " en un mot, je sais parfaitement que les hommes vertueux, les cœurs honnêtes, qui ne se sont jamais permis un mal volontaire, et qui mettraient en ligne de compte toutes les perfections de cette incomparable fille, non-seulement me condamneraient, mais auraient horreur de moi, s’ils étoient aussi bien informés que toi de ma conduite et de mes sentimens. Mais il me semble que je serais bien aise d’échapper du moins à la censure de ceux ou de celles qui n’ont jamais su ce que c’est qu’une épreuve, ou une tentation capitale, qui n’ont aucun génie pour l’invention ; et plus particulièrement de ceux qui ont seulement gardé leur secret mieux que moi, ou mieux que je n’ai souhaité de garder le mien. P s. Je t’ai menacé de ne te plus écrire. Mais ne t’affliges pas, Belford. Va, mon ami, il faut que j’écrive, et je ne puis m’en empêcher.



M Lovelace, à M Belford.

mercredi à 11 heures du soir. Ma foi, Belford, tu m’a presque abattu par tes impertinentes réflexions. Quoique je n’aie pas voulu te l’avouer dans ma lettre d’hier, ma conscience était encore de ton parti. Mais je me flatte d’être redevenu homme. Comment as-tu trouvé le secret de m’ébranler ? Si proche du succès de mes complots ! à la veille de faire jouer ma mine ! Tout étoit arrangé ici entre les femmes et moi ; sans quoi je crois que tu aurais triomphé de mes résolutions. J’ai le temps de t’écrire quelques lignes, pour te préparer à ce qui doit arriver dans une heure ou deux. Nous avons été extrêmement heureux. Combien d’agréables jours nous avons passés ensemble ! Mais qui peut deviner ce que deux heures de temps vont produire ? Lorsque j’ai quitté ma charmante, il y a une demi-heure, et toujours avec une violence extrême, c’est après lui avoir fait promettre qu’elle ne s’arrêterait ce soir à lire ni à écrire. Sa conversation avait eu tant de charmes pour moi, et la satisfaction qu’elle avait témoignée de ma conduite, avait ajouté un surcroît si sensible à ma joie, que si elle ne se retirait pas pour se mettre au lit, je l’avais pressée de m’accorder une heure de plus. En passant une partie de la nuit à lire ou à écrire, ce qui lui arrive quelquefois, elle aurait déconcerté mes vues, comme tu l’observeras lorsque ma petite mine aura produit son effet.