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mal de lui, croient leur maxime généralement vraie, ils doivent avoir vécu en fort mauvaise compagnie, ou juger du cœur des femmes par leur propre cœur. Il faudrait qu’une femme fût bien abandonnée pour se rendre à la première attaque. Une femme élevée dans la modestie doit être naturellement froide et réservée. Elle ne peut être aussi-tôt émue que la plupart des libertins se le persuadent. Elle doit avoir pris du moins quelque confiance à l’honneur ou à la discrétion d’un homme, avant que ses désirs aient la hardiesse de se déclarer. Pour moi, j’ai toujours gardé la décence avec les femmes jusqu’au moment où je me suis cru sûr d’elles. Jamais je ne leur ai fait d’offense considérable, sans avoir éprouvé qu’elles m’en pardonnaient de légères, et qu’elles ne m’évitaient pas après avoir connu mon caractère. La divine Clarisse a mis du désordre dans mes principes. Je me suis flatté d’abord de la vaincre en l’intimidant. Ensuite je me suis promis une victoire plus certaine de l’amour. Il ne me reste que la surprise à joindre à ces deux voies, et nous verrons ce qu’elles peuvent ensemble. De qui m’accuseras-tu de vouloir usurper le bien, si je persiste dans mes projets d’amour et de vengeance ? Ceux qui avoient des droits sur elle n’y ont-ils pas renoncé ? Ne l’ont-ils pas exposée volontairement au danger ? Ne devaient-ils pas savoir qu’une créature si charmante serait regardée comme de bonne prise, par tous ceux qui auraient occasion de l’attaquer ? Et quand ils ne l’auraient pas exposée si barbarement, n’est-elle pas fille ? Faut-il t’apprendre, Belford, que les gens de notre espèce (j’entends les moins méchans, car les autres ne respectent rien) croient faire beaucoup de grâces aux maris, de leur laisser leurs femmes, et de composer pour leurs sœurs, leurs filles et leurs nièces ? Je ne désavoue point que cette idée ne soit choquante en elle-même ; mais c’est le principe de la moitié des hommes, lorsqu’ils ont l’occasion ou le courage de le suivre ; et tu en connais des milliers qui ne seraient pas capables de la générosité que j’ai eue pour mon bouton de rose. Assurément ces galans emportés n’ont pas droit de me blâmer. Tu reviens à faire valoir ce que ma belle a souffert de la part de sa famille. Il faut donc te répéter, comme je l’ai fait à chaque lettre, que ce n’est pas pour moi qu’elle a souffert. N’a-t-elle pas été la victime d’un frère ambitieux et d’une sœur jalouse, qui n’attendaient que l’occasion de la perdre dans l’esprit de ses autres parens, et qui ont saisi la première qui s’est présentée, pour la chasser de la maison paternelle ? Ils l’ont précipitée entre mes bras ; mais tu sais avec quelle violence pour ses inclinations. Si tu me forces de rappeler ses propres péchés, de combien d’offenses cette chère personne n’est-elle pas responsable à l’amour et à moi ? Ne m’a-t-elle pas dit vingt fois, et vingt fois vingt fois, qu’elle ne refusait pas l’odieux Solmes en ma faveur ? N’a-t-elle pas offert aussi souvent de renoncer à moi pour se livrer au célibat, si ces implacables parens voulaient la recevoir à cette condition ? Dans combien de répétitions m’engages-tu par ta lâche pitié ? Jette les yeux un peu plus loin par-derrière ; aurais-tu perdu la mémoire de tout ce que j’ai souffert moi-même de cette orgueilleuse beauté, pendant tout le temps de mon esclavage, lorsque j’observais ses mouvemens aux environs du château d’Harlove, et dans la misérable hôtellerie de Néal ? N’ai-je pas promis vengeance à l’amour, et ce vœu n’est-il pas