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moitié des désordres que nous avons commis, toi et moi, ces six ou sept dernières années. En finissant, je recommande à tes plus sérieuses réflexions tout ce que je viens d’écrire, comme sorti du cœur et de l’ame de ton véritable ami,



M Lovelace, à M Belford.

mardi, 6 de juin, après midi. Les difficultés ne finissent point pour cette maudite permission. J’ai toujours haï et je haïrai toujours ces officiers spirituels et leur cour. à présent, Belford, si je n’ai pas assuré la victoire, je me suis du moins ouvert une belle retraite. Mais qu’aperçois-je, ton laquais avec une lettre… et de quelle longueur ! Quoiqu’elle n’ait pas l’air d’une narration. Encore une apologie pour ma charmante ! N’as-tu pas honte de perdre le tems, qui est un bien si précieux ? Chemin faisant, je t’avais laissé la liberté de me dire, avant la crise, tout ce qui pouvait faire honneur à ton esprit. Est-il temps de revenir à la charge, lorsque je touche à la fin de mes travaux ? Cependant je veux bien m’amuser un moment à discuter avec toi le même point. Tu me débites quantité d’impertinences ; les unes que tu sais de moi-même ; d’autres que je savais déjà. Tout ce que tu me dis à l’avantage de cette charmante fille n’approche pas de ce que je t’ai dit ou écrit sur ce sujet inépuisable. Sa vertu, sa résistance, qui font ici son mérite, sont un aiguillon pour moi. Ne te l’ai-je pas vingt fois répété ? Que les femmes me traitent de diable tant qu’elles voudront, en quoi le suis-je, si ce n’est dans mes inventions ? Je ne le suis pas plus qu’un autre dans la fin que je me propose ; car lorsque je suis parvenu au point, ce n’est jamais qu’une séduction. Peut-être les difficultés que je trouve à celle-ci m’en ont-elles épargné plusieurs où j’aurais été plus heureux, dans l’intervalle. Que trouves-tu d’extraordinaire dans l’aventure présente ? La vigilance de la belle, et rien de plus. Malgré toute la passion que j’ai pour l’intrigue et les stratagêmes, crois-tu que je n’aimasse pas mieux vaincre avec moins de peine et plus d’innocence ? Je t’apprends que quiconque est aussi méchant qu’il peut l’être, est pire que moi. Demande à tout libertin qui aurait résolu de remporter la victoire, s’il aurait été capable d’une si longue patience, et s’il aurait senti les mêmes remords ; et sans me borner aux libertins, si chaque homme prenait la plume, comme moi, pour écrire tout ce qui lui entre dans le cœur, ou dans la tête, et pour s’accuser lui-même avec autant de franchise et de liberté, quelle armée de coupables n’aurais-je pas pour m’affermir par l’exemple ? C’est une maxime assez commune, qu’un homme qui se trouve seul avec une femme, l’offense, s’il ne lui fait pas quelque proposition de galanterie. Ceux qui pensent ainsi sont plus méchans que moi. Quelle opinion doivent-ils avoir de tout le sexe ? Je veux le défendre, ce sexe qui m’est si cher. Si ceux-ci, qui jugent si