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se laisser voir. Mais je te demande, Belford, si, dans ces grandes occasions, la cavalcade et les brillans équipages qui précèdent, ne préparent pas par degrés le spectateur étonné à soutenir l’éclat du majestueux souverain, dont la personne n’est quelquefois qu’un vieillard difforme, quoique orné de toutes les richesses de son vaste empire. Ma charmante ne devrait-elle pas, pour son propre intérêt, descendre par dégrés de la condition angélique à l’humanité ? Si c’est l’orgueil qui l’arrête, cet orgueil ne mérite-t-il pas d’être puni ? Si l’art, comme dans les empereurs d’orient, n’y entre pas moins que l’orgueil, n’est-elle pas, de toutes les femmes, celle à qui l’art est le plus inutile ? Si c’est pudeur, confusion, que risque-t-elle à communiquer la vue de ses charmes aux yeux de son adorateur, qu’elle regarde déjà comme son mari ? Que je périsse, Belford, si je ne préférais au plus brillant diadême du monde le plaisir de voir deux petits Lovelaces pendans de chaque côté au sein de ma charmante, pour en tirer leur première subsistance, à condition, néanmoins, que ce pieux office ne durât pas plus de quinze jours ! Je me représente cette chère personne, pressant de ses beaux doigts les deux sources d’une noble liqueur, pour en faire couler des ruisseaux dans la bouche vermeille du petit couple altéré ; ses yeux baissés alternativement sur l’un et sur l’autre, avec un mêlange de confusion et de tendresse maternelle ; se levant ensuite vers moi, avec une langueur touchante, et me suppliant, dans ce doux langage, pour ces petits malheureux, pour elle-même, de daigner légitimer les fruits de notre amour, et condescendre à me charger de la chaîne conjugale.



M Lovelace, à M Belford.

lundi après midi. Une lettre du digne capitaine Tomlinson a servi plutôt que je n’aurais pu l’espérer dans ces circonstances, à m’introduire auprès de ma charmante. Elle est entrée, d’un air sombre, dans la salle où ce prétexte m’a fait demander quelques momens d’audience. Il ne m’est pas échappé un mot sur l’aventure du matin : tu vas voir comment sa colère s’est dissipée d’elle-même. Le capitaine, " après m’avoir déclaré qu’il m’écrirait avec plus de joie, s’il avait reçu la copie des articles que je lui ai fait espérer, me marque que son cher ami, M Jules Harlove, dans la première conférence qu’ils ont eue depuis son retour, a paru extrêmement surpris, et même affligé, comme il l’avait appréhendé, d’apprendre que nous ne sommes point encore mariés. Ceux qui connaissent mon caractère, a dit M Jules, ne ménageraient pas leur censure, s’ils venaient à savoir que nous avons vécu si long-temps sous le même toit avant le mariage, quelque éclat que nous puissions donner désormais à la célébration. Il ne doutait pas que son neveu James ne fît valoir cette objection de toute sa force, contre les ouvertures de réconciliation ; avec d’autant plus de succés, peut-être, qu’il n’y avait pas, dans le royaume, de famille plus délicate sur l’honneur que celle des Harloves ".