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seraient bientôt remplis : mais, quoique le moment fût si favorable, il ne m’a pas pressée pour le jour. C’est ce que je trouve d’autant plus extraordinaire, qu’avant notre arrivée à Londres, il marquait un extrême empressement pour la célébration. Il m’a demandé en grâce de lui accorder ma compagnie, à lui et à quatre de ses meilleurs amis, pour une petite collation qu’il doit leur donner ici, lundi prochain. Miss Martin et Miss Horton n’en pourront pas être, parce qu’elles sont engagées d’un autre côté, pour une fête annuelle, avec les deux filles du colonel Solcombe et deux nièces du chevalier Holmes. Mais il aura Madame Sinclair, qui lui a fait espérer d’avoir aussi Miss Partington, jeune demoiselle d’un mérite et d’une fortune distingués, dont il paraît que le colonel Sinclair a été le tuteur jusqu’à sa mort, et qui donne, par cette raison, le nom de maman à Madame Sinclair. Je l’ai prié de m’en dispenser. Il m’a mise, lui ai-je dit, dans la désagréable nécessité de passer pour une personne mariée ; et je voudrais voir aussi peu de gens qu’il me sera possible, qui aient de moi cette opinion. Il m’a répondu qu’il se garderait bien de me presser, si j’y avais trop de répugnance ; mais que c’étoient effectivement ses meilleurs amis, des gens de mérite et bien établis dans le monde, qui mouraient d’envie de me voir : qu’à la vérité ils croyaient notre mariage réel, comme son ami Doleman, mais avec les restrictions qu’il avait expliquées à Madame Sinclair ; et que je pouvais compter, d’ailleurs, que sa politesse serait portée devant eux jusqu’au plus profond respect. Lorsqu’il s’est bien résolu à quelque chose, on n’a pas peu d’embarras, comme je vous l’ai dit, à lui faire abandonner son idée. Cependant je ne veux pas être donnée en spectacle, si je puis l’empêcher ; sur-tout à des gens dont le caractère et les principes me sont très-suspects. Adieu, très-chère amie, objet presque unique de mes tendres affections. Cl Harlove.


M. Lovelace, à M. Belford.

Mowbray, Tourville et Belton, dit-il, brûlent de voir ma déesse, et seront de la partie. Elle m’a refusé ; mais je t’assure qu’elle ne laissera pas d’en être. Tu auras le plaisir de voir l’orgueil et la gloire des Harlove, mes ennemis implacables ; et tu applaudiras à mon triomphe. Si je puis vous procurer cet honneur, vous rirez tous quatre, comme j’ai souvent peine à m’en empêcher, de l’air puritain que vous verrez prendre à la Sinclair. Il ne sortira pas de ses lèvres une ordure ni un mot équivoque. Elle se compose devant ma belle. Tous ses traits se resserrent, et son gros visage devient un vrai théâtre de minauderies. Sa voix, qui est un tonnerre quand il lui plaît, se fond en un petit murmure doucereux. Ses jarrets, d’une roideur qui ne leur a pas permis depuis dix ans de se plier à la civilité, deviennent souples pour faire une révérence à chaque parole. Elle tient ses gros bras croisés devant elle ; et ce n’est pas sans peine qu’on parvient à la faire asseoir en présence de la déesse. Je m’occupe à vous dresser, à tous, des instructions pour lundi. Toi,