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Mais, en arrivant au logis, j’ai trouvé ma charmante fort alarmée d’un nouvel incident. On était venu s’informer de nous, et d’une manière fort suspecte. Ce n’était pas par nos noms, mais par la description de nos personnes, qu’on nous avait demandés : et le curieux étoit un domestique en livrée bleue, doublée et galonnée de jaune. Dorcas et la fille de cuisine, qu’il avait fait appeler à la porte, ayant refusé de répondre à ses questions s’il n’expliquait ses motifs, et par quel ordre il était si pressant, il avait répondu, aussi laconiquement qu’elles, que, si elles faisaient difficulté de s’expliquer avec lui, peut-être en feraient-elles moins avec une autre personne ; et là-dessus il s’était retiré de fort mauvaise humeur. Dorcas était montée brusquement chez sa maîtresse, qu’elle avait alarmée, non-seulement par le récit de l’événement, mais encore plus par ses propres conjectures, en ajoutant que c’était un homme de fort mauvaise mine, et qu’elle était sûre qu’il ne pouvait être venu avec de bonnes intentions. La livrée et les traits du domestique ont donné lieu à de grandes recherches, qui n’ont pas été moins détaillées que les informations. Mon dieu ! Mon dieu ! S’est écriée ma charmante ; les alarmes ne finiront donc pas ! Et son imagination lui a représenté tous les maux qu’elle peut redouter. Elle a souhaité que M Lovelace revînt promptement. M Lovelace est revenu, plein de vivacité, de reconnaissance, de respect et d’amour, pour remercier sa chère Clarisse, et la féliciter du miracle qu’elle avait opéré par une guérison si prompte. Elle lui a fait le récit de l’aventure, avec toutes ses circonstances. Dorcas, pour augmenter la frayeur de sa maîtresse, nous a dit que le domestique avait le visage brûlé du soleil, et paroissait être homme de mer. On a conclu que ce devait être le matelot du capitaine Singleton. La première scène à laquelle il fallait s’attendre, était de voir notre maison environnée de tout un équipage de vaisseau ; d’autant plus que, suivant une lettre de Miss Howe, le navire du capitaine n’était pas plus loin qu’à la pointe de rotherhith . Impossible, ai-je dit. Une entreprise de cette nature ne serait pas précédée d’une information si mal entendue. Pourquoi ne serait-ce pas plutôt un des gens de votre cousin Morden, qui venait vous apporter la nouvelle de son arrivée, et vous préparer à sa visite ? Cette explication a paru lui plaire. Ses craintes se sont dissipées. Elle a eu le temps de me féliciter sur le prompt rétablissement de ma santé ; ce qu’elle a fait de l’air le plus obligeant. Mais notre entretien n’avait pas été long, lorsque Dorcas est revenue nous dire, avec assez d’effroi, que le laquais, le même laquais étoit encore à la porte, et qu’il demandait si Monsieur et Madame Lovelace n’étoient pas logés dans cette maison. Il n’avait aucune mauvaise vue, avait-il dit à Dorcas. Mais cette observation même était une démonstration pour ma charmante que nous étions menacés de quelque grand mal. Comme Dorcas n’avait point fait de réponse, j’ai proposé de descendre moi-même, pour entendre de quoi il était question. Je vois, ai-je dit, vos craintes imaginaires et votre impatience, ma chere vie ; vous plaît-il de descendre avec moi ? Vous entrerez dans le