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Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

vendredi, 28 avril. M Lovelace est déjà revenu. Il apporte le complot de mon frère pour prétexte. Mais je ne puis prendre une si courte absence que pour une manière d’éluder sa promesse ; sur-tout, après le soin qu’il avait eu de se précautionner ici, et n’ignorant pas que je m’étais proposé de garder soigneusement ma chambre. Je ne puis supporter d’être jouée. J’ai insisté, avec beaucoup de mécontentement, sur son départ pour Berkshire, et sur la parole qu’il m’avait donnée de proposer le voyage de Londres à sa cousine. ô ma chère vie ! M’a-t-il répondu, pourquoi me vouloir bannir de votre présence ? Il m’est impossible de m’éloigner aussi long-temps que vous semblez le désirer. Je ne me suis pas écarté de la ville depuis que je vous ai quittée. Je n’ai pas été plus loin qu’Edgware ; et mes justes craintes, dans une crise si pressante, ne m’ont pas permis de m’y arrêter deux heures. Vous représentez-vous ce qui se passe dans un esprit alarmé, qui tremble pour tout ce qu’il a de cher et de précieux au monde ? Vous m’avez parlé d’écrire à votre oncle. Pourquoi prendre une peine inutile ? Attendez jusqu’après l’heureuse cérémonie, qui m’autorisera sans doute à donner du poids à vos demandes. Aussi-tôt que votre famille sera informée de notre mariage, tous les complots de votre frère s’évanouiront ; et votre père, votre mère, vos oncles, ne penseront qu’à se réconcilier avec vous. à quoi tient-il donc que vous ne mettiez le sceau à mon bonheur ? Quelle raison, encore une fois avez-vous de me bannir de votre présence ? Si je vous ai jetée dans quelque embarras, pourquoi ne pas m’accorder la satisfaction de vous en tirer avec honneur ? Il est demeuré en silence. La voix m’a manqué pour seconder le penchant que je me sentais à lui faire quelque réponse qui ne parût pas rejeter tout-à-fait une si ardente prière. Je vais vous dire, a-t-il repris, quel est mon dessein. Si vous l’approuvez, j’irai sur le champ faire la revue de toutes les nouvelles places et des plus belles rues, et je reviendrai vous apprendre si j’y ai trouvé quelque maison qui nous convienne. Je prendrai celle que vous choisirez. Je me hâterai de la meubler, et je lèverai un équipage conforme à notre condition. Vous dirigerez tout. Ensuite, ayez la bonté de fixer un jour, soit avant, soit après notre établissement, pour me rendre le plus heureux de tous les hommes. Que manquera-t-il alors à notre situation ? Vous recevrez dans votre propre maison, si je puis la meubler aussi promptement que je le désire, les félicitations de tous mes parens. Miss Charlotte se rendra auprès de vous dans l’intervalle. Si l’affaire des meubles prend trop de tems, vous choisirez dans ma famille qui vous voudrez honorer de votre compagnie, en premier, en second, en troisième rang, pendant les premiers mois de la belle saison. à votre retour, vous trouverez tout arrangé dans votre nouvelle demeure ; et nous n’aurons plus autour de nous, qu’une chaîne continuelle de plaisirs. Ah ! Chère Clarisse, prenez-moi près de vous, aulieu de me condamner au bannissement ; et faites que je sois à vous pour toujours.