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les mains d’admiration. Dans un état si douteux, Madame Sinclair me représentera que j’ai mené depuis quelque tems une vie trop sédentaire. Je me laisserai persuader de faire venir une chaise, et de me faire porter au parc, où j’essaierai un peu de marcher. à mon retour, je m’arrêterai au cocotier pour m’amuser quelques momens. Et que m’en reviendra-t-il ? Encore des questions ? Je crains, Belford, que tu ne sois un incrédule. Eh bien ! Pour satisfaire ta curiosité, ne saurai-je donc pas si ma charmante entreprend de sortir dans mon absence ? Ne verrai-je pas à mon retour si je suis reçu avec tendresse ? Mais ce n’est pas tout ; je ne sais quel pressentiment m’avertit qu’il arrivera quelque chose d’intéressant pendant ma promenade. C’est ce que je remets à t’expliquer dans un autre tems. Conviendras-tu enfin, Belford, ou ne conviendras-tu pas qu’il est utile à bien des choses d’être malade ? En vérité, je prends tant de plaisir à mes inventions, que, si je perds l’occasion de les mettre en œuvre, j’en serai à demi-fâché. De ma vie je n’en retrouverai une si belle. D’un autre côté, les femmes de la maison sont si pressantes dans leurs impertinens reproches, qu’elles ne me laissent pas un moment de repos. Elles voudraient que, sans perdre le tems en projets éloignés, je prisse le parti d’employer quelques-uns de leurs artifices vulgaires et usés. Sally, particuliérement, qui se croit l’esprit fort inventif, me disait tout à l’heure d’un air insolent, sur le refus que j’ai fait de ses offres, que mon intention n’était pas de vaincre, et que j’étais assez méchant pour penser au mariage, quoique je fisse difficulté de l’avouer. Par ce que ce petit diable a fait son premier sacrifice à mon autel, il se croit en droit de prendre avec moi toutes sortes de libertés ; et son impertinence augmente de ce que, depuis long-temps j’évite, avec affectation, dit-elle, l’occasion de répondre à ses avances. L’impudente ! Me croire capable d’être le successeur d’un autre homme. Je n’ai jamais été réduit à cette humiliation. Tu sais quel a toujours été mon principe. Ce qui passe une fois entre les mains d’autrui ne rentre jamais dans les miennes. C’est à des gens tels que toi et tes compagnons qu’il convient de s’accommoder d’un bien commun. J’ai toujours aspiré à la gloire des premières découvertes. Je n’en suis que plus coupable, diras-tu peut-être, de me plaire à corrompre ce qui n’a jamais été corrompu. Mais tu te trompes grossiérement ; une maxime telle que la mienne met les maris à couvert. Aussi n’ai-je point à me reprocher d’avoir porté beaucoup d’atteintes au nœud conjugal. Cependant une aventure qui m’est arrivée à Paris avec une femme mariée, et dont je crois ne t’avoir jamais fait le récit, ne me permet pas de dire que j’aie la conscience absolument nette. L’esprit d’intrigue y eut plus de part qu’aucune méchanceté réfléchie. Je veux te l’apprendre en deux mots. Un marquis français, d’un âge assez avancé, qui se trouvait employé par sa cour dans une fonction publique, à celle de Madrid, avait laissé une femme jeune et charmante qu’il avait épousée depuis peu, dans la même maison, et comme sous la garde de sa sœur, qui était une vieille et insolente prude. Je vis la jeune dame à l’opéra. Je pris du goût pour elle, à la première vue, et plus encore à la seconde, lorsque j’eus appris