prendre un air emprunté dans un nouvel état, pendant qu’ils pourraient briller dans leur état ordinaire. L’aisance nécessaire pour aider son fils, et pour se mettre elle-même à couvert du besoin, bornerait toute l’ambition d’une si digne mère. Voilà de la prudence, voilà du jugement, dans une personne de cet âge. Que je hais les Harloves, pour avoir produit un ange ! Ah ! Pourquoi, pourquoi s’est-elle refusée à mes instances, lorsque je l’ai pressée de former le nœud avant que de venir à la ville ? Mais ce qui mortifie mon orgueil, c’est que, si nous étions mariés, cette sublime créature ne serait pas gouvernée avec moi par l’amour, mais par pure générosité, ou par un aveugle devoir, et qu’elle aimerait mieux vivre dans le célibat, que d’être jamais ma femme. Je ne puis soutenir cette idée. Je voudrais que la femme à qui je donnerai mon nom, si je fais jamais cet honneur à quelque femme, négligeât pour moi jusqu’à ses devoirs supérieurs. Je voudrais que, lorsque je sortirai de la maison, elle me suivît des yeux aussi long-temps qu’elle pourrait me voir, comme mon bouton de rose suivait Jean , et qu’à mon retour, elle vînt, avec transport, au-devant de moi. Je voudrais l’occuper dans ses songes, comme dans ses heures de veille. Je voudrais qu’elle regardât comme perdus tous les momens qu’elle n’aurait pas passés avec moi, qu’elle chantât pour moi, qu’elle lût, qu’elle badinât pour moi, et que sa plus grande satisfaction fût de m’obéir : que lorsque je serais disposé à l’amour, elle m’accablât des marques de sa tendresse ; que, dans mes momens sérieux ou solitaires, elle n’osât s’approcher de moi qu’avec respect, prête à se retirer au moindre signe, n’osant s’avancer qu’autant qu’elle serait encouragée par un sourire, qu’elle se tînt devant moi dans un profond silence, et que, si je ne marquais pas d’attention pour sa présence, elle se retirât sur la pointe des pieds ; enfin, qu’elle fût commode pour tous mes plaisirs, et qu’elle aimât les femmes qu’elle connaîtrait capables d’y contribuer : soupirant seulement en secret, que ce ne fût pas toujours elle-même. Tel était l’ancien usage entre les femmes des honnêtes patriarches, qui recommandaient une jolie servante à leurs maris, lorsqu’elles la croyaient propre à lui plaire, et qui ne mettaient pas de distinction entre les fruits de cet amour et leurs propres enfans. Le tendre Waller dit que les femmes sont faites pour être maîtrisées . Tout tendre qu’il était, il connaissait cette vérité. Un mari tyran fait une vertueuse femme. Pourquoi les femmes aiment-elles les libertins de notre espèce, si ce n’est parce qu’ils dirigent leurs volontés incertaines, et parce qu’ils entendent parfaitement l’art de les conduire ? Autre conversation agréable. Le jour, ou les jours en ont fait le sujet. En fixer un, m’a dit la belle, c’est ce qui n’est pas nécessaire avant que les articles soient réglés. La célébration dans la chapelle, en présence des dames de ma famille, serait une affaire d’éclat ; et ma charmante observe, avec regret, que milord paroît être dans l’intention de rendre la fête éclatante. Je lui ai répondu que le voyage de milord en litière, son arrivée à la ville, son goût pour la magnificence, et les témoignages de sa joie donneraient aussi nécessairement un air public à notre mariage, que s’il était célébré dans la chapelle de M, en présence des dames. Elle ne pouvait supporter, a-t-elle répliqué, la pensée d’une fête publique. C’était une espèce d’insulte pour toute sa famille. Si milord voulait ne
Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/150
Cette page n’a pas encore été corrigée