Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/149

Cette page n’a pas encore été corrigée

faire remonter les diamans de ma mère a été renvoyée à d’autres tems. Je t’assure, Belford, que toutes ces offres étoient sérieuses de ma part. Tout mon bien n’est rien pour moi, en comparaison de son cœur. Elle m’a dit alors qu’elle avait jeté par écrit ce qu’elle pensait de mes articles, et qu’elle y avait expliqué son sentiment sur les habits et les joyaux ; mais que, dimanche dernier, à l’occasion de la conduite que j’avais tenue avec elle, sans qu’elle pût deviner pourquoi, elle avait déchiré son écrit. Je l’ai pressée fort instamment de me faire voir ce papier, tout déchiré qu’il étoit. Après avoir un peu hésité, elle est sortie, et le papier m’est venu par Dorcas. Je l’ai relu. Je l’ai trouvé comme nouveau, quoiqu’il y eût si peu de temps que je l’avais lu ; et, sur ma damnation ! J’ai eu beaucoup de peine à me rendre maître de ma contenance. L’admirable créature ! Ai-je répété vingt fois en moi-même. Mais je t’avertis, si tu lui veux du bien, de ne pas m’écrire un mot en sa faveur ; car, si je lui fais grâce, ce doit être de mon propre mouvement. Tu supposes aisément qu’aussi-tôt que je l’ai revue, je me suis livré au plaisir de la louer, et que j’ai renouvelé tous mes sermens de reconnaissance et d’amour éternel. Mais voici le diable. Elle reçoit encore tout ce que je lui dis avec réserve ; ou, si ce n’est pas avec réserve, elle le reçoit comme un tribut si juste, qu’elle n’en paraît pas flattée. Les louanges et la flatterie perdent quantité de femmes. Moi-même, je me sens enfler le cœur lorsqu’on me loue. Tu me diras peut-être que ceux qui s’enflent des louanges, sont ordinairement ceux qui les méritent le moins : comme on voit s’enfler de leurs richesses ou de leur grandeur, ceux qui ne sont pas nés pour ces deux avantages. J’avoue qu’il faut avoir une ame, pour être supérieur à ce foible. Mais suis-je donc sans ame ? Non, j’en suis sûr. Regarde-moi donc comme une exception à la règle commune. Je suis fondé maintenant à tenir ferme dans mes résolutions. Milord, dans l’excès de sa générosité, parle de céder mille livres sterling de rente. Je suis persuadé que, si j’épousais ma belle, il mettrait sur elle, plutôt que sur moi, tout ce qu’il a dessein de céder ; et ne m’a-t-il pas déjà menacé qu’à sa mort, si je ne suis pas un bon mari, il lui laissera tout ce qu’il pourra m’ ôter ? Cependant, il ne considère pas qu’une femme si parfaite ne peut jamais être mécontente de son mari, sans le déshonorer ; car personne ne la croira blâmable. Nouvelle raison, comme tu vois, qui ne permet point à un Lovelace d’épouser une Clarisse. Mais quel original que mon cher oncle, de penser à rendre une femme indépendante de son souverain, et par conséquent rebelle… cependant, il ne s’est pas trouvé trop bien lui-même d’avoir commis une folie de cette nature. Dans son écrit déchiré, ma charmante ne parle que de deux cents livres sterling pour sa pension annuelle. Je l’ai pressée de fixer une plus grosse somme. Elle m’a dit qu’elle consentait donc à trois cents : et moi, dans la crainte de me rendre suspect par de trop grandes offres, j’ai dit cinq cens, avec l’entière disposition de tous les arrérages qui sont entre les mains de son père, pour en favoriser Madame Norton, ou tout autre, qu’elle jugera digne de ses bienfaits. Elle m’a répondu que sa bonne Norton ne souhaiterait pas qu’elle allât, pour elle, au-delà des bornes convenables. Elle avait soin, m’a-t-elle dit, que ses dispositions de cette nature fussent toujours proportionnées à l’état naturel des personnes. Les pousser plus loin, c’était exposer ceux qu’on oblige, à la tentation de former des projets extraordinaires, ou à