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Vous pouvez espérer d’être revêtu de mon titre après moi. Dieu veuille alors avoir mon ame ! Ainsi, je souhaiterais de vous voir garder l’équilibre. Si vous vous faites une fois la réputation de bien parler, il n’y a rien à quoi vous ne puissiez prétendre. Il est certain que vous avez un grand fond d’éloquence naturelle ; une langue qui séduirait un ange, comme disent les femmes, et quelques unes à leur grand chagrin : les pauvres créatures ! Un chef d’opinion, dans la chambre des communes, est un homme d’importance, parce que le droit de cette chambre est de donner l’argent ; et que l’ argent fait mouvoir le monde

et que, pour ne vous rien cacher, il fait

quelquefois aller les reines et les rois mêmes, tout autrement qu’ils ne se l’étoient proposé. Je ne serais pas d’avis que vous prissiez jamais une place à la cour. Votre crédit et l’opinion qu’on aura de vous croîtront au double, si l’on vous croit au-dessus des emplois. Vous ne serez point exposé à l’envie, parce que vous ne vous trouverez dans le chemin de personne. Vous jouirez d’une considération solide, et les deux partis vous feront également la cour. Un emploi ne vous sera pas nécessaire, comme à quelques autres, pour réparer le désordre de vos affaires. Si vous pouvez vivre aujourd’hui fort honnêtement avec deux mille livres sterling de rente, il serait bien étrange qu’après moi vous ne le puissiez pas avec huit mille. Vous n’aurez pas moins, si vous avez un peu d’attention à m’obliger, comme vous y serez porté sans doute, en épousant une personne si estimable. Je ne compte pas ce que vous pouvez attendre de vos tantes. Quel démon peut avoir possédé les fiers Harloves, sur-tout ce fils, cet héritier de leur famille ? Mais, en faveur de sa sœur, je n’en dirai pas un mot de plus. à moi-même, on n’a jamais offert de place à la cour ; et la seule que j’aurais acceptée, si on me l’avait offerte, eût été celle de grand veneur , parce que dans ma jeunesse j’ai beaucoup aimé la chasse, et que cet office est d’une fort belle apparence pour un homme de qualité qui vit dans ses terres. Je me suis rappelé bien des fois cet excellent proverbe : celui qui mange les oies du roi, sera étouffé par les plumes . Il serait fort à souhaiter qu’il fût connu de tous ceux qui aspirent aux emplois. Ils s’en trouveraient mieux, eux et leurs pauvres familles. Je pourrais ajouter beaucoup d’autres réflexions, mais qui reviendraient au même. Réellement je commence à me sentir fatigué, et je ne doute pas que vous ne le soyiez aussi. D’ailleurs, je suis bien aise de réserver quelque chose pour la conversation. Mes nièces Montaigu, et mes deux sœurs, s’unissent dans leurs complimens à ma nièce future. S’il lui plaisait que la cérémonie fût célébrée parmi nous, ne manquez pas de lui dire que nous ne laisserions rien manquer à la solidité du nœud. Nous ferions reluire et danser tout le pays, pendant une semaine entière. Mais je crois vous l’avoir déjà dit. Si vous me croyez propre à quelque chose qui puisse avancer votre bonheur mutuel, faites-le moi savoir, avec le jour que vous aurez fixé, et tout ce qui peut toucher vos intérêts. Le billet de mille pistoles, que vous trouverez sous cette enveloppe, est payable à vue, comme le sera toute autre somme qui pourra vous être nécessaire, et que vous me ferez le plaisir de me demander. Je prie le ciel de vous bénir tous deux. Prenez les arrangemens les plus commodes que vous pourrez pour ma goutte. Quels qu’ils soient néanmoins, je me traînerai vers vous le mieux qu’il me sera possible ;