Page:Richardson - Clarisse Harlove, II.djvu/143

Cette page n’a pas encore été corrigée

ne puis la montrer sans exposer le chef de notre famille à passer pour un fou. Il a lâché sur moi un détestable amas de proverbes. Je m’étais imaginé qu’il avait épuisé son magasin, dans la lettre qu’il t’a écrite. Garder son écrit, différer à le faire partir, pour se donner le temps de ramasser ce tas d’impertinences ! Au diable la sagesse des nations , s’il est besoin, à sa propre honte, d’en joindre tant ensemble pour l’instruction d’un seul homme ! Cependant je suis bien aise de voir mon entreprise fortifiée de cette folle pièce, puisque, dans toutes les affaires humaines, le commode et l’incommode, le bon et le mauvais sont tellement mêlés, qu’on ne peut obtenir l’un sans l’autre. J’ai déjà offert à ma belle le billet de banque qui accompagne la lettre, et je lui ai lu quelques endroits de la lettre même. Mais elle a refusé le billet ; et moi, qui suis en argent, je suis résolu de le renvoyer. Elle paraît souhaiter beaucoup de lire la lettre entière ; et lorsque je lui ai dit que j’y consentirais volontiers, si je ne craignais d’exposer l’écrivain, elle m’a répondu que je ne courais pas ce risque avec elle, et qu’elle avait toujours préféré le cœur à la tête. J’ai compris ce qu’elle voulait dire. Je ne l’en ai pas remerciée. Je lui transcrirai tout ce qui m’est favorable. Cependant, en dépit de moi-même, elle aura la lettre, et mon ame avec la lettre, pour un baiser volontaire. Elle a trouvé le moyen d’obtenir la lettre sans la récompense. Le diable m’emporte si j’ai eu le courage de lui proposer ma condition ! Admire, dans ton ami, ce nouveau caractère de timidité. J’éprouve que la véritable honnêteté, dans une femme, tient en respect les présomptueux même. Sur mon ame, Belford, je crois que, de dix femmes qui tombent, neuf doivent s’en prendre à leur propre vanité, à leur légéreté, à leur défaut de circonspection et de réserve. Je m’attendais à prendre ma récompense, lorsqu’elle me rendrait une lettre qui nous est si favorable à tous deux. Mais elle me la renvoye cachetée, par Dorcas. J’aurais dû juger qu’avec sa délicatesse, il y a deux ou trois endroits qui l’empêcheraient de paraître immédiatement après les avoir lus. Je te l’envoie, et je m’arrête ici, pour te laisser le temps de la lire. Tu me la renverras aussitôt que tu l’auras lue.



Milord M, à M Lovelace.

mardi, 23 de mai. une rue est longue lorsqu’elle ne tourne point. ne vous moquez pas de mes proverbes. Vous savez que je les ai toujours aimés. Si vous aviez fait de même, vous vous en trouveriez mieux, soit dit sans vous offenser. J’oserais juger que la belle personne qui se destine, suivant toute apparence, à faire bientôt votre bonheur, est fort éloignée de les mépriser ; car on m’a dit qu’elle écrit fort bien, et que toutes ses lettres sont remplies de sentences. Que dieu vous convertisse ! Il n’y a qu’elle et lui dont on puisse attendre ce miracle. Je ne doute plus qu’enfin vous ne soyez disposé à vous marier, comme votre père et tous vos ancêtres l’ont fait avant vous. Sans cela, vous devez sentir que vous n’auriez aucun droit à mon héritage, et que vous n’en