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et faisant réflexion, après l’avoir vue tranquille et sereine, quelles seraient ses pensées, si elle pouvait connaître le fond de mon cœur comme moi ; lorsque je la vois troublée, incertaine, et que, considérant la justice de ses craintes, je suis obligé de m’avouer à moi-même qu’elles ne sont pas comparables au danger, je sens quelquefois mon cœur prêt à me trahir. Quelquefois je suis prêt à me jeter à ses pieds, à lui faire l’aveu de mes infames desseins, celui de mon repentir ; et à me mettre dans l’impuissance d’en user indignement avec cette créature angélique. Comment arrive-t-il que les honnêtes sentimens de respect, d’amour et de compassion s’évanouissent ? Ma foi ! C’est Miss Howe qui te l’apprendra. Elle dit que je suis un diable. En vérité, je crois du moins que le diable a beaucoup de part à mes agitations. Es-tu content de mon ingénuité ? Tu vois avec quelle franchise je m’ouvre à toi. Mais ne vois-tu pas aussi que, plus je me rends justice à moi-même, moins je laisse de matiere à tes reproches. ô Belford ! Belford ! Il m’est impossible, du moins à présent, impossible, te dis-je, de me marier. Penses-tu à sa famille, qui est composée de mes plus mortels ennemis ; et qu’il faut plier les genoux devant eux, ou la rendre aussi malheureuse par ma fierté, qu’elle peut jamais l’être par mes épreuves ? Penses-tu que je pourrai l’accuser de les aimer trop, c’est-à-dire, plus qu’elle ne m’aimera moi-même ? Elle paraît aujourd’hui me mépriser. Miss Howe déclare qu’elle a pour moi un mépris réel. être méprisé par une femme ! Qui soutiendrait cette idée ? être surpassé aussi par une femme, dans quelque partie louable du savoir ! Prendre des leçons, des instructions d’une femme ! Mais je parle de mépriser : n’a-t-elle pas pris du tems elle-même, pour examiner si elle ne me hait pas ? Je vous hais du fond du cœur, me disait-elle, il n’y a pas plus long-temps qu’hier. " apprends, homme, que mon ame est au-dessus de la tienne. Ne me presse pas de te dire combien je crois mon ame supérieure à la tienne ". Que j’étais petit alors, au témoignage de mon propre cœur ! Une supériorité si visible sur un esprit aussi fier que le mien ! Est-il donc vrai que je ne sois qu’une pauvre machine ? C’est trop aussi de me croire réduit à ce point. Lovelace s’avilit quelquefois lui-même ; mais Lovelace n’est point une machine. Depuis que les choses ont été poussées si loin, quel serait mon malheur après le mariage, si dans un accès de mauvaise humeur j’avais à me reprocher de n’avoir pas poussé l’épreuve à son dernier point ? Cependant je ne sais quel nom donner à ce qui m’arrive ; mais au moment que je parais devant cette divine personne, elle me communique sa vertu. Je deviens aussi pur qu’elle ; ou du moins le respect et la crainte arrêtent mes téméraires désirs. Quel doit être le pouvoir qui produit un effet si surprenant, depuis si long-temps qu’elle est dans ma dépendance, malgré l’aiguillon continuel de quelques personnes de son propre sexe, et malgré celui de ma passion ? Comment expliquer ce miracle dans un Lovelace ? J’ai honte, Belford, de toutes les extravagances que je viens d’écrire. Où me suis-je laissé emporter, et par quoi ? Ne m’aideras-tu point à deviner par quoi ? ô conscience, sombre traîtresse ! C’est toi qui m’as fait prendre parti contre moi-même. D’où viens-tu ? Où t’es-tu cachée, pour me surprendre ainsi dans mes plus doux momens ? Demeure seulement neutre, avec le destin, dans cet important démêlé ; et si je ne réussis pas