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fille à moi et à notre destin, qui disposera de nous comme il l’a résolu. Tu sais les vers de Cowley. Mais après tout je suis fâché, presque fâché, (comment le serais-je tout-à-fait, lorsqu’il ne m’est pas donné de le pouvoir ?) oui, presque fâché de ne pouvoir me résoudre au mariage, sans avoir poussé l’épreuve un peu plus loin. Je viens de relire cette réponse à mes articles. Que je la trouve admirable ! Cependant, encore une fois, cependant cette réponse ne m’a pas été envoyée. Ainsi, ce n’est pas la réponse de ma charmante. Elle n’est point écrite pour moi, quoiqu’elle le soit à moi. Loin d’avoir voulu me l’envoyer, Clarisse l’a déchirée, peut-être avec indignation, la croyant trop bonne apparemment pour moi. C’est l’avoir absolument rétractée. Pourquoi donc ma folle tendresse cherche-t-elle à lui donner le même prix, dans mon cœur, que si c’était une réponse avouée ? Cher Belford, je t’en prie, laisse-nous à notre destin. N’entremets pas tes insensés raisonnemens, pour affoiblir un esprit déja trop chancelant, et pour fortifier une conscience qui s’est déclarée de son parti. C’est à moi-même que je veux parler. Souviens-toi, Lovelace, de tes nouvelles découvertes. Souviens-toi de son indifférence, accompagnée de toutes les apparences de la haine et du mépris. Considère-la renfermée, même à présent, dans ses réserves et dans ses mystères, méditant des complots, autant que tu l’as reconnu, contre le droit souverain que tu as sur elle à titre de conquête. Enfin, rappelle-toi tout ce que tu as juré de te rappeler contre cette fière beauté, qui n’est qu’une rebelle au pouvoir sous lequel elle s’est engagée. Mais comment te proposes-tu donc de subjuguer cette douce ennemie ? Loin toute espèce de force ! Loin la nécessité de l’employer, si elle peut être évitée ! Quel triomphe à se promettre de la force ? Est-ce vaincre la volonté ? Est-ce faire servir par degrés les tendres passions du cœur à sa propre défaite ? Ma maudite réputation, comme je l’ai souvent remarqué, a toujours été contre moi. Cependant Clarisse n’est-elle pas une femme ? Ne puis-je trouver un instant de demi-faveur, si ce n’est pas absolument la haine qui l’indispose contre moi ? Mais qu’emploierai-je pour la tenter ? Elle est née pour les richesses ; elle les méprise, parce qu’elle en connaît la vanité. Des joyaux, des ornemens… de quel prix peuvent-ils être pour une ame qui doit sentir ce qu’elle vaut, et ne rien connaître de plus précieux qu’elle même ? L’amour, si je suppose qu’elle en soit susceptible, est veillé si soigneusement dans son cœur par la modestie et la prudence, que je ne puis espérer de le trouver un moment sans ces deux gardes ; et leur attention est si scrupuleuse, qu’ils sonnent l’alarme avant le danger. D’ailleurs, l’amour de la vertu sera toujours son amour dominant. Elle l’a reçu de la nature ; ou, s’il est né en elle, il y a poussé de si fortes racines, qui se sont tellement mêlées, par la longueur du tems, avec les fibres du cœur et les principes de la vie, qu’il est sans doute impossible de séparer les unes sans détruire entièrement les autres. Quelle voie faut-il donc prendre, pour faire abandonner ses principes à cette incomparable fille, et pour me procurer une victoire qui l’assujettirait pour toujours à moi ? En vérité, Belford, lorsque je suis assis près d’elle, occupé à contempler ses charmes, toute mon ame dans mes yeux,