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une femme entre dans l’état du mariage, ce lien le plus sacré qu’il y ait sur la terre, l’oblige dans tous les cas de la justice naturelle, et dans tout ce qui peut intéresser l’honneur de son mari, de soumettre sa propre volonté à la sienne. Mais auparavant je serais bien aise, suivant le désir que j’en ai toujours marqué, d’avoir les plus claires assurances que toutes les voies possibles seront employées pour éviter d’entrer en procès avec mon père. Le temps et la patience ramèneront tout à d’heureux termes. Mes vues de bonheur sont extrêmement resserrées. Le droit d’un mari sera toujours le même. Je souhaiterais que, si les discussions devenaient nécessaires, elles fussent suspendues pendant le temps de ma vie. L’état de votre fortune, monsieur, ne vous obligera pas d’employer la violence pour arracher mon bien des mains de mon père. Je ferai tout ce qui dépendra de moi, soit du côté de ma personne et de mes plaisirs, soit par cette espèce d’économie qu’une femme mariée, de quelque rang qu’elle soit, ne doit pas croire au-dessous d’elle, pour prévenir la nécessité de ces violentes mesures ; et s’il n’arrive pas qu’elles soient nécessaires, il faut espérer que des motifs moins excusables n’auront aucune force. Je parle de ces motifs qui doivent venir d’une petitesse d’ame qu’une femme qui n’aurait pas cette petitesse, ne pourrait trouver dans son mari, sans être tentée de le mépriser, quelque attachement qu’elle eût pour son devoir ; sur-tout dans des cas où sa propre famille, qui fait une partie si considérable d’elle-même, et qui a sur elle des droits, du moins secondaires, qu’elle ne peut jamais perdre, est essentiellement intéressée. C’est donc un article que je recommande très-sérieusement à votre considération, comme ce que j’ai de plus à cœur au monde. Je n’entre ici dans aucun détail sur la fatale mésintelligence qui est entre vous et mes proches. La faute est peut-être des deux côtés ; mais dans l’origine, monsieur, le mal vient de vous. C’est vous, du moins, qui avez donné un prétexte trop plausible à l’antipathie de mon frère. Vous ne vous êtes pas fait une étude de la complaisance. Vous avez mieux aimé porter les imputations dont on vous a chargé, que de faire le moindre effort pour les détruire. Mais ce sujet peut conduire à d’odieuses récriminations. Qu’il me soit permis seulement de vous rappeler ici que vous leur avez dérobé une fille qu’ils aimaient chérement, et que le ressentiment qu’ils en ont conçu n’est que proportionné à leur tendresse et à la perte de leurs espérances. S’ils ont commis des fautes dans quelques-unes de leurs mesures, qui sera leur juge, lorsqu’ils ne se reconnaissent pas coupables ? Vous, monsieur, qui voulez juger de tout le monde à votre gré, et qui ne voulez être jugé de personne, vous n’avez pas droit en particulier de vous établir leur juge. Ils peuvent donc marcher tête levée. Pour ce qui me regarde moi-même, je dois laisser à votre justice (ainsi que paraît en ordonner ma destinée) le soin de me traiter comme vous me croyez digne de l’être. Mais si votre conduite future, à l’égard de mes proches, n’est pas gouvernée par cette haine implacable dont vous accusez quelques-uns d’entr’eux, la splendeur de votre famille et l’excellent caractère d’une partie de la mienne serviront par degrés à ramener les esprits. Cette victoire n’est pas impossible, quoique je la croie d’autant