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nom à mes sentimens pour vos célestes vertus. De part et d’autre, le mal vient de ne pas nous entendre. Daignez m’éclaircir vos idées, comme je vais vous expliquer les miennes, et nous serons aussi-tôt heureux. Plût au ciel que je pusse l’aimer comme je vous aime ! Et si je doutais néanmoins d’un retour de sentimens, que je périsse, si je sais comment je pourrais souhaiter de vous voir à moi ! Laissez-moi penser, très-chère Clarisse, laissez-moi seulement penser que je suis votre choix de préférence ! Souffrez que je me flatte de n’être point haï, de n’être point méprisé !… ah, Monsieur Lovelace ! Nous avons vécu ensemble assez long-temps, pour être fatigués de l’humeur et des manières l’un de l’autre. Elles se conviennent si peu, que vous devez vous sentir peut-être aussi dégoûté de moi que je le suis de vous. Je crois… je crois qu’il ne m’est pas possible d’accorder le retour que vous me demandez, aux sentimens dont vous faites profession pour moi. Mon caractère naturel est tout à fait altéré. Vous m’avez donné une fort mauvaise opinion de tout votre sexe, et particuliérement de vous. Vous m’en avez fait prendre en même-tems une si fâcheuse de moi-même, qu’ayant perdu pour jamais cette satisfaction, ce témoignage intérieur de mes propres sentimens, qui est nécessaire à une femme pour se soutenir avec dignité pendant le cours de cette vie, je ne serai jamais capable de lever la tête d’un air assuré. Elle s’est arrêtée. J’ai gardé le silence. Sur mon dieu ! Ai-je pensé en moi-même, cette divine fille est capable à la fin de me perdre entiérement. Elle a repris : que me reste-t-il à désirer, sinon que vous me déclariez libre de toute obligation par rapport à vous, et que vous ne m’empêchiez pas de suivre le cours de ma destinée ? Elle s’est arrêtée encore une fois. Mon silence a continué. Je méditais si je ne devais pas renoncer à tous mes projets sur elle, si je n’avais pas assez de preuves d’une vertu et d’une grandeur d’ame supérieure à tous les soupçons. Elle a repris encore : votre silence m’est-il favorable, Monsieur Lovelace ? Dites-moi que je suis libre de toute obligation à votre égard. Vous savez que je ne vous ai jamais fait de promesse. Vous savez que vous n’êtes pas lié par les vôtres. Je ne m’embarrasse point du mauvais état de ma fortune… elle allait continuer. Ma très-chère vie ! Ai-je interrompu, quoique vous me laissiez dans un si cruel doute de votre affection, je me suis employé pendant ces derniers jours aux préparations nuptiales. Je suis actuellement en traité pour des équipages. Des équipages, monsieur ! De l’éclat : un état brillant ! Qu’est-ce qu’un équipage ; qu’est-ce que la vie et tout ce qu’elle peut offrir pour une malheureuse fille qui est tombée si bas dans sa propre opinion ; qui gémit sous la malédiction d’un père ; qui ne peut tourner les yeux sur elle-même sans reproche, ni les jeter devant elle sans terreur ; confirmée dans ces fatales idées par l’opposition qu’elle trouve à tous ses désirs ; obligée de renoncer à ses plus chères inclinations ; privée de toutes sortes de plaisirs et d’espérances ? Ne me refusez pas la liberté de chercher un asile, dans quelque coin obscur, ignoré, où ni les ennemis que vous m’avez faits, ni le peu d’amis que vous m’avez laissés, ne puissent