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sentimens, j’ai passé les deux bras autour d’elle, assise comme elle était encore. Elle s’est efforcée aussi-tôt de se lever ; mais ne cessant point de la tenir entre mes bras, je l’ai fait retomber sur sa chaise. Jamais femme ne fut plus effrayée. Cependant, quelque libre que mon action pût paraître à son cœur alarmé, je n’avais pas, dans cet instant, une seule idée qui ne me fût inspirée par le respect ; et, jusqu’à son départ, tous les mouvemens de mon cœur n’ont pas été moins purs que les siens. Après lui avoir fait promettre qu’elle me reverrait bientôt, qu’elle renverrait les porteurs, je lui ai laissé la liberté de se retirer. Mais elle n’a pas tenu parole. J’ai attendu plus d’une heure, avant que de lui rappeler sa promesse. Elle m’a fait dire qu’il lui étoit encore impossible de me voir, et qu’elle me verrait aussi-tôt qu’elle serait en état de descendre. Dorcas m’assure qu’elle a tremblé excessivement, et qu’elle s’est fait apporter de l’eau fraîche et des sels. Je ne comprends rien à cette timidité. Il y a de l’excès pour l’occasion. La crainte grossit toutes sortes de maux. N’as-tu jamais observé que les terreurs d’un oiseau pris, qu’on tient actuellement dans la main, sont plus grandes, sans comparaison, qu’on n’aurait cru qu’elles pussent l’être, si l’on avait jugé de l’animal par son petit air d’assurance, avant qu’il fût tombé dans le piège ? Chère personne ! N’a-t-elle donc jamais joué, depuis son enfance, à ce qu’on appelle de petits jeux ? Les innocentes libertés qu’on s’accorde dans ces occasions l’auraient familiarisée avec de plus grandes. C’est un sacrilège de toucher sa robe. Quel excès de délicatesse ! Comment peut-elle penser à devenir femme ? Mais quel moyen de savoir, avant l’épreuve, s’il n’y a pas de succès à me promettre, par des voies moins capables de l’alarmer ? Résistera-t-elle aux surprises nocturnes ? Pour celles du jour, il n’y faut plus penser. Le refrain de ma chanson, c’est que je puis l’épouser quand je le voudrai ; et si je prends ce parti après avoir triomphé d’elle, soit par surprise ou par un consentement à demi forcé, à qui aurai-je fait injure qu’à moi-même ? Il est déjà près d’onze heures. Elle me verra le plutôt qu’il lui sera possible, a-t-elle dit à Polly Horton, qui lui a fait une tendre visite, et pour laquelle elle a moins de réserve que pour toute autre. " son émotion, a-t-elle ajouté, n’est pas venue d’un excès de délicatesse, ni de mauvaise humeur, mais de foiblesse de cœur . Elle n’a point, dit-elle, assez de force d’esprit pour soutenir sa situation, et ses craintes, sous le poids de la malédiction d’un père, dont elle tremble que l’effet ne soit déjà commencé ". Cependant, quelle contradiction ! Foiblesse de cœur, dit-elle, avec tant de force dans la volonté ! Ah, Belford ! C’est un cœur de lion que cette fille, dans toutes les occasions où le point d’honneur anime son courage. J’ai observé, plus d’une fois, que les passions d’une femme douce, quoique plus lentes à s’émouvoir que dans un tempérament vif, sont plus ardentes et plus invincibles, lorsqu’elles sont bien enflammées. Mais le corps charmant de Clarisse n’est pas organisé comme l’est son ame. La divinité qui habite ce beau temple, fatigue un logement trop foible pour elle. Si la même ame s’était trouvée dans un corps d’homme, jamais on n’aurait vu de plus véritable héros.