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tenir mes résolutions. Ce n’est pas la première fois que je m’étais proposé d’essayer si cette divine fille est capable de pardonner. J’ai baisé sa main avec une ardeur !… " sortez donc, chère, trop chère Clarisse ! Oui, je suis venu dans une humeur très-chagrine. Je ne puis soutenir la distance où vous me tenez sans raison. Sortez néanmoins, trop chère miss, puisque votre volonté est de sortir : mais jugez-moi généreusement. Jugez-moi comme je mérite de l’être, et laissez-moi l’espérance de vous trouver demain au matin dans les sentimens qui conviennent à notre situation. " en parlant, je la conduisais vers la porte, et je l’y ai laissée. Mais, au lieu de rejoindre les femmes, je me suis retiré dans mon propre appartement, où je me suis enfermé sous la clef, honteux de m’être laissé comme épouvanter par la majesté de son visage et par les alarmes de sa vertu. à mon entrée dans la chambre, il a pris ma main avec un mouvement si brusque, que j’ai vu clairement un dessein formé de me quereller. Et quel sujet, ma chère ? De ma vie, je n’ai connu un esprit si fier et si impatient. L’effroi m’a saisie. Au lieu de paraître fâchée, comme je me l’étais proposé, je suis devenue la douceur même. J’aurais peine à me rappeler ses premiers mots, tant ma frayeur était vive. Mais j’ai fort bien entendu : vous me haïssez,

miss, vous me haïssez

et son air était si

terrible, que j’aurais souhaité d’être à cent lieues de lui. Je ne hais personne, lui ai-je répondu ; grâces au ciel, je ne hais personne. Vous m’effrayez, M Lovelace. Permettez que je me retire. Il m’a paru d’une laideur extrême. Je n’ai jamais vu d’homme si laid qu’il me l’a paru dans sa colère. et quel sujet, ma chère ? il me pressait la main, l’impétueux personnage ! Il me serrait la main avec une force ! En un mot, il semblait, par ses regards et par ses expressions, passant même une fois le bras autour de moi, qu’il voulût me donner l’occasion de l’irriter : de sorte que je n’ai pas eu d’autre parti à prendre, que de le prier, comme j’ai fait plusieurs fois, de me laisser la liberté de sortir, et de lui promettre que je reviendrais le matin, à l’heure qu’il choisirait lui-même. C’est d’assez mauvaise grâce qu’il s’est rendu à cette condition. En me laissant partir, il m’a baisé la main avec tant de rudesse, que la marque de rougeur y est encore. Achevez, ma très-chère Miss Howe, achevez, je vous en conjure, votre négociation avec Madame Towsend. Je quitterai alors mon tyran. Ne voyez-vous pas comment il gagne du terrein par degrés ? Je tremble de jeter les yeux sur ses usurpations ; et ne me donne-t-il pas sujet ici d’appréhender de lui, plus de mal que mon indignation ne me permet de l’exprimer ? ô ma chère ! Achevez votre plan, et laissez-moi quitter un homme si étrange. En me querellant comme il a fait, il doit avoir eu des vues qu’il n’oserait avouer. Quelles peuvent-elles être ? J’étais si dégoûtée de lui, et tout à la fois si effrayée, qu’en rentrant dans ma chambre, un mouvement de chagrin et de désespoir m’a fait déchirer la réponse que j’avais faite à ses articles. Je le verrai demain matin, parce que je l’ai promis. Mais je sortirai