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ma vie que, dans l’espace d’une semaine, je lui apprendrais la soumission sans réserve. Quel plaisir de réduire un esprit de cette trempe ! Je suppose qu’elle soutiendrait mes désirs l’espace d’un mois, et pas plus long-temps. Elle serait ensuite trop facile et trop apprivoisée pour moi. Quel doux spectacle, de voir les deux charmantes amies humiliées de leur sort commun, assises dans le coin d’une chambre, le bras l’une sous celui de l’autre, pleurer et soupirer de leur situation ! Et moi, leur monarque reconnu, reposant sur un sofa de la même chambre, comme le grand seigneur, incertain à laquelle des deux je ferais l’honneur de jeter le mouchoir ! Observe, je te prie, cette plaisante fille. elle est furieuse contre les Harloves, irritée contre sa mère, indignée contre la folie et la basse vanité de Lovelace… petite folle ! Et tout d’un coup : aidons le misérable à sortir de la fange, quand nous devrions nous salir un peu les doigts. Il ne s’est rendu coupable, à votre égard d’aucune indécence directe . C’est ce qui paroît extraordinaire à Miss Howe. il n’oseroit. elle en est sûre. si ces idées passent par la tête des femmes, pourquoi ne trouveraient-elles pas place dans mon cœur ? il n’est point encore à cet infernal excès. De si infames desseins se seraient déjà trahis, s’il les avait conçus.

que le ciel ait pitié de ces deux insensées ! Elle revient ensuite à presser son amie de penser aux articles, à la permission ecclésiastique, et à d’autres soins. la délicatesse, dit-elle, n’est pas de saison . Elle va jusqu’à lui dicter les termes qu’elle doit employer avec moi. Peux-tu croire, Belford, que la victoire ne fût pas à moi depuis long-temps, si je n’avais eu ce démon de plus à combattre ? Elle lui fait un reproche d’avoir perdu, par un excès de modestie, plus d’une occasion dont elle aurait dû profiter. Ainsi tu vois que la plus noble de ce sexe n’a pas d’autre vue au monde, par sa froideur et ses affectations, que de retenir un pauvre amant pour lequel elle n’a pas de dégoût, lorsqu’il est une fois tombé dans ses filets. Une autre lettre est sans contredit le plus insolent libelle qu’une fille ait jamais écrit contre sa mère. Elle contient des réflexions si libres sur les veuves et les vieux garçons, que j’ai peine à comprendre où Miss Howe peut avoir puisé son savoir. Sir Georges Colmar devait être plus sot que ton ami, s’il lui a donné gratuitement de si belles leçons. Elle apprend à Miss Harlove dans cette lettre, que l’oncle Antonin a fait des propositions de mariage à sa mère. Ce vieux marin doit avoir le cœur à l’épreuve, s’il obtient ce qu’il désire ; sans quoi Madame Howe, qui a fait crever de chagrin un premier mari qui valait beaucoup mieux, sera bientôt quitte du second. Mais quel que soit le succès de cette proposition, tous les autres Harloves en sont plus irrités que jamais contre leur divine fille. Ainsi, je me vois plus sûr de ma conquête que je ne l’étais auparavant, puisqu’à la rigueur des termes, il ne lui reste plus qu’un seul choix. Mon orgueil en est un peu blessé. Cependant, je crois qu’à la fin un cœur aussi tendre que le mien se laissera toucher en sa faveur. Réellement, je ne souhaite point que toute sa vie se passe dans le chagrin et la persécution. Mais pourquoi conserve-t-elle tant d’affection pour des brutes , comme Miss Howe a raison de les nommer, et pourquoi n’en a-t-elle pas plus pour moi ? J’ai d’autres copies et d’autres extraits de lettres, que tu trouveras bien plus offensans.